Originaire de Pittsburgh, le jeune Africain-Américain a su conquérir le public avec ses chansons à faire pleurer dans les chaumières.
Ils étaient des millions en ce 31 décembre 2008 devant leur téléviseur. Comme chaque année à pareille époque, ils étaient scotchés devant le petit écran à regarder sur la NHK le grand rendez-vous annuel de la chanson au cours duquel les artistes les plus populaires regroupés dans deux équipes - les rouges et les blancs - interprètent un titre. Ce soir-là, Jerome Charles White Junior alias Jero y participait pour la première fois. Même s’il n’était pas inconnu du grand public, il a définitivement conquis le cœur des Japonais, en interprétant avec beaucoup d’émotion Umiyuki, sa chanson sortie quelques mois plus tôt, qu’il a dédiée à sa grand-mère japonaise. Les larmes de ce jeune chanteur noir américain ont ému les spectateurs présents dans la salle, mais aussi tous ceux qui le regardaient assis devant leur téléviseur. Fils d’un Africain Américain et d’une Africaine Américaine dont la mère était Japonaise, Jero n’a en apparence rien d’un Japonais. Sa couleur de peau ou encore ses tenues dignes d’un rappeur venu de Pittsburgh, sa ville natale aux Etats-Unis, pouvaient éventuellement laisser penser qu’il pourrait être tenté de faire carrière au Japon comme chanteur de rap ou animateur d’émissions de télé comme il en existe déjà quelques-uns. Personne, avant de l’entendre interpréter Umiyuki, n’aurait imaginé que Jero puisse être chanteur de enka. Pour ceux qui ne le sauraient pas, le enka est un genre musical on ne peut plus japonais dont la plupart des interprètes ont un âge avancé et portent un kimono ou un costume. Il s’agit de complaintes ayant pour thème l’amour qui finit mal et la nostalgie de ses racines que l’on chante souvent d’une voix grave avec des trémolos pour ajouter un peu plus d’émotion.
“J’ai commencé à écouter du enka très jeune. Ma grand-mère ne vivait pas très loin de chez nous. Quand je me rendais chez elle, j’en écoutais beaucoup. A l’âge de 5 ans, j’ai chanté pour la première fois devant ma grand-mère une chanson de enka que j’avais apprise tout seul. Ça l’avait beaucoup touchée et je crois que c’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire tout mon possible pour devenir un chanteur de enka et de m’assurer que mes chansons donneraient toujours le sourire à ma grand-mère”, se souvient Jero visiblement ému de parler de son aïeule. L’évocation du souvenir de sa grand-mère avait justement été à l’origine de la forte émotion du chanteur et du public lors de l’émission de la NHK en 2008. Les téléspectateurs avaient alors compris que l’habit ne fait pas le moine et que derrière un look surprenant pour un chanteur de enka se cachait un interprète ayant une véritable fibre japonaise. C’est à l’âge de 15 ans qu’il a eu son premier véritable contact avec le Japon. “J’étais venu pour représenter les Etats-Unis dans un concours d’expression en japonais. J’y suis revenu plus tard en tant que professeur d’anglais. Ce n’était pas ma tasse de thé, mais je savais qu’il fallait que je passe par là pour atteindre mon objectif. Réaliser un rêve n’est jamais facile. Lorsque j’ai eu la chance de devenir chanteur de enka, je savais qu’il me restait encore de nombreux obstacles à franchir, mais que tous ces efforts en valaient la peine”. En entendant parler Jero avec tant d’humilité, malgré son énorme succès, on sent à quel point il est imprégné par le Japon. Il a vendu des centaines de milliers d’exemplaires de ses disques, fait la couverture de nombreux magazines, mais il se comporte comme s’il avait encore à faire ses preuves. C’est aussi peut-être pour cette raison que le public japonais l’a aussi bien accepté. “Cela n’a jamais constitué un problème que je sois un étranger. Je pense même que cela m’a servi. Il est évident que j’en ai surpris plus d’un à mes débuts. Ça les a titillés alors ils ont fait l’effort d’écouter. Et puis, quand j’ai commencé à raconter mon histoire, ils ont continué à me suivre”, ajoute-t-il. Son attachement à sa grand-mère japonaise et son héritage culturel indirect ont évidemment touché le public. Jero en est conscient et en même temps surpris. “Je ne pensais pas que je pourrais avoir autant de succès et que les Japonais me manifesteraient autant d’attachement. Pour autant, je ne serai jamais un Japonais et je n’en ai d’ailleurs aucune envie. Je suis né Américain. J’ai vécu la plus grande partie de ma vie aux Etats-Unis. Mais je suis fier de mon héritage japonais qui m’a permis de réaliser mon rêve”, explique-t-il. “Je veux rester moi-même. C’est aussi la raison pour laquelle je n’ai pas adopté le look traditionnel des chanteurs de enka. Si je m’étais présenté sur scène en kimono, je crois qu’on ne m’aurait pas pris très au sérieux. En m’habillant avec ces vêtements venus directement d’Amérique, je conserve mon identité. En même temps, je pense que je contribue à rajeunir l’image du enka et j’espère que cela permettra d’amener un public plus jeune à s’y intéresser. Ce qui caractérise le enka, ce sont ses paroles. Souvent mélodramatiques et très profondes, elles sont aussi très poétiques. Elles ne vous laissent jamais indifférents, encore faut-il les écouter”, affirme le jeune chanteur conscient de défendre un élément du patrimoine culturel japonais. On ne s’étonne pas qu’il ait réussi à émouvoir tant de Japonais avec sa sincérité et sa simplicité ce fameux 31 décembre 2008. Un peu plus de deux ans plus tard, il continue à travailler avec la même fraîcheur et le même désir d’atteindre la perfection.
Odaira Namihei
Découverte
Même s’il est parfaitement conscient de la difficulté d’exporter le enka (“la traduction des paroles leur ferait perdre leur sens profond et leurs nuances”, dit-il), Jero ne désespère pas de faire découvrir ce genre musical hors de l’archipel. En attendant, vous pouvez consulter sa discographie sur son site www.jero.jp