Comme aurait pu dire le regretté Pierre Desproges, ils ne sont pas des gens comme nous. Normal, ils parlent franponais.
Depuis que le malheur s’est abattu sur l’archipel, le 11 mars dernier, et devant le sang-froid dont la population a fait preuve, de nombreuses voix se sont faites entendre pour tenter de nous expliquer qui étaient ces Japonais fatalistes et incapables de réagir comme des hystériques. Les médias français étaient pourtant à l’affût. Ils la voulaient leur image susceptible de frapper l’opinion publique. Ils en rêvaient. Mais la dignité de ces femmes et de ces hommes frappés par une catastrophe les a obligés à tourner leur regard dans une autre direction, celle de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi et ses réacteurs en surchauffe. Là encore, on sentait qu’ils auraient aimé rapporter un vaste mouvement de panique au sein de la population japonaise. Au lieu de cela, ils ont rencontré des Japonais, inquiets certes, mais bien décidés à ne pas abandonner le navire comme ont pu le faire de nombreux ressortissants français apeurés par des communiqués alarmistes de l’ambassade de France à Tokyo. Heureusement qu’il y avait les envoyés spéciaux des chaînes de télévision et des radios pour en rajouter, pour apporter des précisions sur le caractère des Japonais que la plupart d’entre eux découvraient pour la première fois. Peut-être aurait-il fallu que tous ces champions de l’information spectacle lisent avant de partir l’excellent ouvrage d’Elena Janvier. Derrière ce pseudonyme se cachent en réalité trois femmes qui connaissent parfaitement le pays du Soleil-levant pour y avoir vécu de nombreuses années. Elles nous livrent en un peu plus de 120 pages un portrait intéressant des Japonais dans leur façon de vivre au quotidien. Plutôt que de se lancer dans un essai, elles ont choisi la forme du dictionnaire qui permet pour chaque entrée d’exprimer en quelques lignes des vérités sur le Japon et sa population. Rien de polémique. De simples constats qui nous permettent finalement de comprendre qu’il y a des êtres sur cette terre qui n’ont pas besoin de se comporter comme nous pour exister. A plusieurs reprises, les auteurs s’amusent à nous le rappeler. Quand elles évoquent le terme “scie”, voilà ce qu’elles écrivent : “Au Japon, pour scier du bois, on tire la scie vers soi, puis on relâche le mouvement en poussant. Nous opérons en sens inverse”. Façon nippone ni mauvaise de couper le bois, dirait un mauvais humoriste. Quoiqu’il en soit, ce petit ouvrage contribue à remettre les pendules à l’heure et balaie d’un revers de la main de très nombreuses idées reçues. C’est son grand mérite au-delà de la qualité d’écriture des trois auteurs qui mettent aussi un peu de poésie dans leur approche du Japon. En cette période difficile, ça fait du bien.
L’approche de Florent Gorges est bien différente. Spécialiste de l’univers du jeu vidéo, il connaît aussi très bien le Japon et il a choisi l’humour pour en parler dans son Anthologie du franponais. “Ça ressemble à du français, ça sonne français, ça a l’odeur du français, mais ce n’en est point. Au Japon, ce “dialecte” est presque devenu un art à part entière, aussi mystique et impénétrable que l’art du Nô. Qui veut pratiquer ce jargon doit nécessairement sacrifier la syntaxe, maltraiter le vocabulaire, torturer la grammaire. Bref, crucifier Molière !” constate l’auteur dans son introduction. Pour qui est allé au Japon, c’est une évidence. Les Japonais adorent utiliser le franponais comme les Français s’adonnent désormais avec délectation au franglais. La différence, c’est que le franponais ne s’utilise pas dans la conversation courante. On l’emploie surtout dans la publicité ou pour attirer l’œil des passants vers les devantures des magasins. Le plus souvent, le choix des mots est lié à leur valeur phonétique et non à leur sens, ce qui donne souvent lieu à des bizarreries. “La Grasse” est ainsi utilisé pour désigner un club de gym tandis que “Partouze” est une marque de mouchoirs. Il y a aussi ce petit restaurant baptisé “Bistrot de bave”. Florent Gorges et son acolyte Mizuya en ont recensé beaucoup d’autres, photos à l’appui. Un voyage sympathique en Franponie qui nous permet en cette période un peu compliquée de retrouver le sourire.
Gabriel Bernard
Références :
Au japon, ceux qui s’aiment ne disent pas je t’aime de Elena Janvier, éd. Arléa, 13 €. www.arlea.fr
Anthologie du franponais de Florent Gorges et Mizuya, éd. Omaké Books, 7 €. http://lefranponais.fr