Depuis quelques mois, de nombreuses petites salles ont disparu. Les autres tentent de trouver des recettes pour survivre.
Aussi curieux que cela puisse paraître, le séisme du 11 mars qui a frappé la côte nord-est de l’archipel a eu des retombées positives sur une salle de cinéma située à Tokyo. Uplink, c’est son nom, a vu sa fréquentation augmenter de façon notable lorsque, le 2 avril, elle a mis à l’affiche Into Eternity, un documentaire suédo-finlandais portant sur la construction en Finlande d’un sanctuaire destiné à abriter des déchets nucléaires. La prise de conscience du danger liée à l’accident de la centrale de Fuku-shima Dai-ichi n’est pas étrangère à cet engouement pour ce film qui soulève la question de l’héritage nucléaire laissé aux générations futures. “Dans quel autre cinéma que celui-ci auriez-vous pu voir un tel film ?” demande malicieusement Asai Takashi. Le directeur d’Uplink connaît la réponse. Dans aucun autre, bien sûr, même si le succès de Into Eternity a incité d’autres cinémas à le programmer. Mais ces autres salles sont de la même taille qu’Uplink. Il s’agit de ce que les Japonais appellent les mini theaters, c’est-à-dire des établissements de petites tailles souvent indépendants ne disposant en général que d’un ou deux écrans. Ces cinémas ont joué et jouent encore un rôle important dans la diffusion de films dont les complexes cinématographiques ne veulent pas. Pourtant l’existence de ces salles est aujourd’hui menacée. Nombre d’entre elles ferment leurs portes, réduisant ainsi les chances pour certains longs métrages étrangers ou japonais d’être distribués. Le quartier de Shibuya à Tôkyô, où se situe notamment Uplink, a été l’un des hauts lieux des mini theaters. L’emploi du passé est recommandé, car depuis 2010, plusieurs de ces petites salles ont disparu. Cine Saison ou encore l’Ebisu Garden Cinema ont payé le prix fort de la concurrence exercée par des complexes multi-salles qui attirent le public jeune avec des programmations sans surprise. “C’est un peu comme des journaux qui ne sortent plus. En définitive, c’est la diversité qui en pâtit. L’uniformisation culturelle est un véritable danger dont les Japonais n’ont peut-être pas encore conscience”, affirme Saitô Morihiro, observateur attentif du cinéma au Japon, qui tire le signal d’alarme depuis de nombreuses années.
Mais les petits exploitants encore en place n’ont pas dit leur dernier mot et cherchent à réagir pour éviter de connaître le triste sort de leurs collègues. “Lorsque nous avons appris la fermeture de Cine Saison qui était considéré comme un sanctuaire pour les fans de cinéma, c’est un peu comme si nous mourrions tous”, confie Nishizawa Akihiro. Responsable de la programmation à Human Trust Cinema Shibuya, il a mis en place une stratégie qui semble aujourd’hui porter ses fruits. Tout en conservant une salle dédiée au cinéma d’art et d’essai, il diffuse dans les deux autres salles les films à succès du moment. Ces dernières semaines, il a ainsi programmé A Serious man des frères Coen tout en proposant The Tourist avec Johnny Depp. “Le public qui est venu pour The Tourist a forcément vu la bande-annonce de Serious man. Résultat, la fréquentation du film des frères Coen a nettement grimpé”, ajoute-t-il. Toutefois, c’est un combat de tous les jours pour les propriétaires de petits cinémas qui doivent parvenir à sensibiliser les spectateurs de l’importance d’avoir des salles avec des programmations variées. Les questions soulevées par l’accident nucléaire de Fukushima et la remise en cause d’un certain mode de fonctionnement de la société japonaise pourraient avoir un effet bénéfique pour les mini theaters. En 2011, Human Trust Cinema Shibuya a choisi comme thème principal pour sa programmation “La vie au cinéma”. Toutes les œuvres qui seront projetées au cours de l’année auront pour vocation de faire réfléchir le public et de l’aider dans sa réflexion. Avec une ambition pareille, on se plaît à rêver de voir les salles pleines à craquer.
Odaira Namihei
Les petites salles disparaissent à a pelle
L’Ebisu Garden Cinema a fermé ses portes le 29 janvier 2011. Il avait notamment diffusé Bowling for Columbine de Michael Moore. Cinema Angelica situé à Shibuya l’avait précédé fin novembre 2010 avant que Cine Saison Shibuya suive la même voie fin février 2011. Désertés par des spectateurs qui préfèrent se rendre dans des complexes multi-salles plus confortables, mais moins ambitieux en termes de programmation, toutes ces salles connues ont dû jeter l’éponge. Mais le phénomène n’est pas propre à Tôkyô. Le Nagoya Piccadilly, qui avait été créé en 1957, a diffusé son dernier film fin mars 2011 tandis que le Dinos Cinemas de Sapporo a tiré sa révérence le 8 mai dernier. Et ce ne sont là que les salles les plus connues.