Avec Bride Stories de Mori Kaoru, l’éditeur Ki-oon nous prouve une nouvelle fois la qualité de ses choix éditoriaux.
Disons-le tout net. Cette fille-là nous plaît. Malheureusement, elle est déjà mariée et n’est qu’un personnage de papier imaginé par la talentueuse Mori Kaoru. Amir Hargal, 20 ans, est pourtant bien séduisante et il est probable qu’une jeune femme de sa trempe ferait tourner la tête à plus d’un homme. Mais voilà, elle est devenue l’épouse de Karluk Eyhon, âgé quant à lui d’une douzaine d’années. Pas question pour elle d’aller courir le guilledou même si son mari n’est qu’un pré-adolescent, car Amir respecte les traditions et les règles en vigueur dans cette partie du monde : l’Asie centrale. Si elle est fidèle à son jeune mari et au clan auquel elle appartient désormais, la jeune femme n’entend pas pour autant se cantonner aux seules tâches ménagères. Chasseuse accomplie et curieuse de nature, elle choisit de poursuivre ses passions, tout en prenant soin de Karluk qui n’en revient pas d’avoir épousé une femme aussi courageuse qu’un homme. C’est ce qui rend d’autant plus attachant ce personnage qui tranche avec la plupart des héroïnes de manga. Mori Kaoru l’a dotée d’un corps aux formes généreuses pour bien souligner sa féminité, tout en lui accordant la force et la bravoure que l’on rencontre habituellement chez les personnages masculins. Et cette bravoure, elle va devoir en faire bon usage, car sa famille d’origine, désireuse de conclure une alliance plus avantageuse, veut récupérer Amir coûte que coûte. Cette dernière n’est pas décidée à obtempérer ni d’ailleurs son nouveau clan qui va devoir affrontrer la colère et la violence des hommes dépêchés pour la reprendre. La complicité qui s’est construite entre Amir et Karluk leur permet de résister. Mori Kaoru a donc bâti une belle histoire d’amour entre deux êtres que tout aurait dû séparer comme en témoigne la scène de leur rencontre dans le premier volume. L’auteur explique dans la postface qu’elle a créé ce manga pour répondre à sa passion pour l’Asie centrale et ses traditions. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser qu’elle a aussi voulu donner à son personnage principal une dimension bien plus contemporaine et moderne qui rappelle la Japonaise des années 2000. Publié initialement au Japon en 2009, en pleine mode du konkatsu [stratégie matrimoniale] qui consiste à mettre en œuvre toutes sortes de démarches pour trouver un époux, Bride Stories montre que la relation amoureuse ne se décrète pas, mais qu’elle se nourrit d’une volonté commune de partager sa vie. Au-delà de ce message métaphorique à destination du lectorat nippon, ce manga se dévore de la première à la dernière page grâce à sa qualité graphique et au souci du détail dont l’auteur a su faire preuve. La scène de la chasse au lièvre illustre parfaitement la maîtrise de la mangaka. Le découpage minutieux aussi précis que dans un film donne à la scène un réalisme saisissant. De même, on devine le plaisir qu’elle a pris à dessiner les costumes et les décors, ce qui contribue à décupler celui du lecteur en pleine découverte d’un univers peu familier. Si Amir domine cette histoire par sa beauté et sa présence, les autres personnages ne sont pas pour autant dépourvus d’intérêt. Mori Kaoru leur a attribué des rôles secondaires importants sans lesquels le manga ne parviendrait pas au sommet qu’il a atteint. N’allez pas croire que nous avons succombé au charme de l’héroïne de Bride Stories au point d’altérer notre jugement. Le manga mérite très largement tous ces éloges et il est peu probable que vous soyez déçus de sa lecture. Celle-ci vous apportera un peu de fraîcheur et un vrai plaisir. Ce serait donc dommage de s’en priver, à moins que vous vouliez absolument passer à côté de la révélation manga de la rentrée.
Gabriel Bernard
Référence :
Bride Stories de Mori Kaoru, trad. par Yohan Leclerc, éd. Ki-oon, 7,50€.
Deux volumes déjà parus. www.ki-oon.com