Profondément touchée par les événements du 11 mars, elle a décidé de profiter de tous les instants et de fonder une famille.
Je ne veux pas attendre. Je veux vivre. Pour ne jamais regretter.” Honda Kaori a 32 ans. Née à Tôkyô, elle vit dans un petit appartement du quartier d’Ueno, au nord-est de la capitale japonaise. A quelques minutes de chez elle, vit sa famille qui se compose de sa grande sœur, sa mère et sa grand-mère. “Nous sommes très proches les unes des autres, mais nous conservons notre indépendance et autonomie.” Elle est manager pour une société de pâtisserie française et japonaise. Le jour du tremblement de terre, elle était sur son lieu de travail. “Les murs ont commencé à trembler très fort. Je n’avais jamais vécu un tel séisme de ma vie. J’ai eu très peur”, se rappelle-t-elle. Plus de trains, les hôtels ont été pris d’assaut par les salariés qui vivaient loin du centre de la capitale. Impossible de joindre sa famille.
Comme de nombreux Japonais ce jour-là, elle a dû patienter et marcher afin de rentrer chez elle. “J’ai attendu que le métro reprenne : le service a repris vers minuit. La ligne n’était pas entièrement desservie et n’allait pas jusque chez moi, alors j’ai fait les 4 kilomètres restant à pied. Pendant que je marchais, de nombreuses idées ont traversé mon esprit. J’étais inquiète. Je ne réalisais pas encore l’ampleur de ce qui était en train de se passer. Je me suis mise à penser au pire. Mais aussi à la façon dont je menais ma vie…” Une marche forcée qui fait “soudain réaliser que tout peut s’arrêter. On vit, on est dans le tourbillon. Et puis on comprend qu’en un instant, la fin est là. Comme ça d’un coup.” Kaori a une vie bien remplie : des amis, une famille aimante qui l’entourent. Malgré cela, six mois après, elle admet volontiers que “l’expérience du séisme lui a fait revoir tout son quotidien”.
“En quelques semaines, j’ai pris des décisions que je laissais en suspens depuis des mois. Par exemple, cela faisait près d’un an que je réfléchissais sérieusement à changer de travail. Je voulais une fonction qui me permettrait d’être plus créative, d’acquérir plus d’expérience, éventuellement de voyager. Bref d’évoluer, car j’avais la sensation de stagner depuis quelques temps déjà. Mais le temps passait et je me réfugiais dans la facilité. Je me disais après tout que mes conditions de travail étaient bonnes, le salaire aussi…” Le 11 mars a changé la donne. “Chacun a vécu cette expérience de manière très personnelle. Et je ne peux pas parler au nom de tous les Japonais bien sûr. Mais pour ma part, j’ai ressenti comme un électrochoc. Je peux dire que ma volonté de changer de vie en trouvant un nouveau travail est liée au tremblement de terre.”
Quelques coups de fils passés, les choses se sont très vite enchaînées. Après quelques entretiens, Kaori a décroché un poste dans l’import-export de matières premières alimentaires. Elle y apporte son expertise dans le domaine de la pâtisserie française et japonaise. Elle a commencé son nouveau travail le 16 septembre, quasiment six mois après le séisme du 11 mars.
Trouver un nouveau travail n’est pas le seul aspect de sa vie qu’elle souhaite désormais voir changer. “J’ai 32 ans. Je suis célibataire et je n’ai jamais eu d’enfants. Je veux prendre le temps de rencontrer quelqu’un. Et de penser à fonder une famille. Encore une fois, j’y pensais. Et j’en avais déjà envie. Mais je ne m’en donnais pas les moyens. Je me laissais porter par le quotidien et mon rythme de vie très prenant. Aujourd’hui, j’ai l’intention d’y songer plus sérieusement”, affirme-t-elle avec un grand sourire.
Honda Kaori est loin d’être un cas isolé. En effet, les agences matrimoniales japonaises connaissent un véritable boom depuis les événements tragiques du 11 mars. Une effervescence sans précédent chez les Japonais qui se révèlent en mal d’amour. On veut se rencontrer, s’aimer et faire des enfants. “Je veux désormais bouger le plus tôt possible, poursuit Kaori. Combien d’heures ? Combien de minutes ? De secondes me reste-t-il à vivre ? Je n’en sais rien. Cela peut survenir n’importe quand. Alors je ne veux pas m’encombrer l’esprit et la vie.”
Mais toutes ces expériences de vie, c’est au Japon et rien qu’au Japon que Kaori veut les vivre. Si elle a déjà vécu à l’étranger (un an et demi à Paris), aujourd’hui, pour rien au monde, elle ne quitterait pas son pays. “Je suis Japonaise. Je sais que quoi qu’il arrive, c’est ici que je veux mourir quand le moment sera venu.” Cela passe aussi par le désir de soutenir l’économie de son pays et être solidaire même si on n’est pas toujours d’accord avec les décisions prises par les autorités. “Les médias japonais sont trop proches du gouvernement qui tente coûte que coûte de maîtriser l’inquiétude des gens. A mon avis, ce dernier ne bouge pas assez rapidement et met de côté des informations graves pour éviter la panique : c’est très choquant”, dit-elle.
Après le séisme et les nombreux dégâts provoqués par le tsunami, “j’ai entendu des informations inquiétantes pour moi, ma famille et mon pays. On parlait de menace nucléaire, de contamination de l’eau et de la nourriture. Tout semblait ingérable. Et cela ne pouvait être qu’inquiétant. A ce moment là, j’ai aussi pensé aux enfants. Je me suis posé la question : et si à cause de tout ça, je ne pouvais pas avoir d’enfants ?” Alors pour ne pas céder à la peur, on se jette à corps perdu dans l’envie de vivre. “Il ne faut pas se laisser submerger par les idées noires… Mais profiter. Autant qu’on peut.”
Honda Kaori a quitté son ancien poste en août. Elle a alors décidé de prendre du temps pour elle. Elle a acheté un billet d’avion et bouclé ses valises. Elle a passé une bonne partie de ses vacances d’été à sillonner la France. Elle a aussi réalisé un rêve, celui de parcourir l’Italie. A son retour à Tôkyô, le 13 septembre, un nouvel emploi l’attendait. Ainsi qu’une nouvelle vie.
Johann Fleuri