Pour ce professeur à l’université de Waseda, il fallait s’impliquer. Il l’a fait en créant un vaste mouvement d’entraide.
Le 1er avril 2011, soit deux semaines après le tremblement de terre, je me suis rendu à Minami-Sanriku dans la préfecture de Miyagi. Les décombres de la ville, entièrement détruite par le tsunami, se sont dévoilées devant moi. Bien plus terrifiantes et importantes que tout ce que j’avais pu voir dans les médias. J’ai su, à cette seconde-là, que ma vie ne serait plus la même.” Saijô Takeo vit à Tôkyô où il travaille en qualité de professeur de philosophie et de psychologie à l’université de Waseda. Comme beaucoup de Japonais, il n’oubliera jamais cet après-midi du 11 mars 2011 où la terre a tremblé. A l’annonce des dégâts causés par le tsunami, il était d’autant plus touché qu’il est originaire de Sendai, l’une des villes qui a été le plus durement frappée par le tsunami. “La maison de mon enfance a été dévastée. Mon oncle, que j’affectionnais beaucoup et que nous avons cherché pendant un mois, fait partie des victimes”, ajoute-t-il.
Avant le séisme qui a dévasté le nord-est de l’archipel, Takeo n’avait jamais mené de missions humanitaires. Mais devant l’urgence de la situation, il n’a pas réfléchi une seule seconde. Son idée a consisté à reprendre la liste des produits nécessaires établie par les volontaires sur place pour permettre aux donateurs d’acheter un objet via le site de commerce en ligne Amazon. Les bénévoles se sont ensuite chargés d’aller les remettre en mains propres aux victimes. “Pas d’intermédiaires, nous gérons la logistique nous-mêmes. Cela garantit la traçabilité et permet une distribution immédiate”, explique-t-il. Il a baptisé son projet Fumbarô Eastern Japan. Le nom, Fumbarô, fait référence à la résistance et à l’endurance des lutteurs de sumo face à l’effort.
La tâche est immense. “400 000 personnes ont été touchées par le désastre dans tout le Nord-Est du pays. Près de 100 000 maisons ont été détruites. 70 000 refuges équipés ont été construits par la Croix rouge, mais il reste beaucoup à faire”, rappelle Takeo. Les bénévoles du projet Fumbarô épaulent donc l’organisation dans l’équipement des refuges (600 environ), mais aussi les personnes qui se trouvent en grande difficulté. Ils ont d’ores et déjà distribué plus de 10 000 objets et aidé plus de 20 000 personnes.
De fil en aiguille, les bonnes volontés ont adhéré au projet. Ils sont plus de 1 000 volontaires bénévoles aujourd’hui. Tous sont spécialisés dans des domaines très différents. “Chacun a des compétences et peut être utile, soutient-il. Qu’il s’y connaisse en génie thermique ou qu’il soit capable de parler anglais.” Actuellement, le groupe, totalement indépendant et sans étiquette politique, fait parler de lui, grandit et n’a pas l’intention de s’arrêter là. “Le tsunami est un événement qui est survenu dans le passé. C’est une catastrophe qui a eu lieu et que nous aidons à guérir. Mais nous devons également faire face à un problème qui évolue dans le temps et qui reste très inquiétant. La menace du nucléaire et la détresse de la population qui y fait face chaque jour à Fukushima. Pour aider également ces gens, nous avons entamé une nouvelle action : trouver des fonds pour équiper les personnes qui le souhaitent de compteurs Geiger. Nos volontaires leur assurent également une formation, car si le compteur est mal utilisé, il ne sert absolument à rien”, affirme le professeur de philosophie. Saijô Takeo ne cache pas une certaine colère. “Tant de détresse et un gouvernement qui filtre les informations, l’aide internationale tarde… Alors qu’il y a encore tant à faire ! Dans beaucoup d’endroits du Tôhoku, les canalisations ont disparu. L’eau qui coule des robinets est iodée donc toujours impropre à la consommation. Sans eau décontaminée, pas de nourriture, pas de lessive. Aujourd’hui, la ville de Minami-Sanriku n’a été reconstruite qu’à 7 %… Seulement 7 %…. Et il y a encore des zones sinistrées qui n’ont pas été déblayées.”
Même s’il vit à Tokyo depuis longtemps, on sent chez lui une profonde affection pour les gens de sa province natale. “Les Japonais natifs du Tôhoku sont de nature timide et calme. C’est leur façon d’être, leur caractère. Ils ne se plaignent pas. Ils attendent sans un mot qu’on vienne les aider. Dans le stress et l’angoisse, ils prennent sur eux. Mais cette patience est bien évidemment une intense souffrance dissimulée”, explique-t-il. L’organisation de l’aide se fait. Mais face à l’ampleur des dégâts, un ordre de priorité est établi. “Il faut aussi savoir que les personnes qui ont perdu l’intégralité de leur maison dans le tsunami ont droit à une aide du gouvernement japonais. On leur octroie une somme qui représente 60 % du prix de la maison. Les sinistrés qui n’ont perdu que la toiture, ou le premier étage de la maison n’ont droit à rien. Mais comment font-ils pour vivre dans une maison qui n’a plus de plancher ou de toit ? C’est là que nous intervenons”.
Aujourd’hui, Saijô Takeo aimerait donner une dimension plus internationale à son projet. “L’économie locale doit repartir, les gens doivent trouver du travail, les banques locales retrouver des fonds. Si le tsunami est passé, il a laissé des blessures qu’il faut panser”, assure-t-il. Le professeur de philosophie ne mâche pas ses mots et n’a pas l’intention d’en rester là. “La colère monte au Japon. C’est quelque chose d’inédit, car cela n’est pas vraiment notre nature. Mais il faut faire quelque chose. Et vite.”
Johann Fleuri
Pour en savoir plus
Fumbarô Eastern Japan, le projet lancé par Saijô Takeo dispose d’un site Internet sur lequel est expliqué sa démarche. http://fumbaro.org/en/
Vous pouvez également suivre ses initiatives sur Twitter http://twitter.com/#!/saijotakeo