Au cours des soixante-dix dernières années, les relations entre les deux pays ont connu une profonde évolution.
On le sait, les Japonais sont superstitieux. Ils accordent un certain crédit aux chiffres. Comme beaucoup, ils ont été attentifs au 11 novembre 2011, cette succession de 1 dans une date qui s’est finalement avérée être une journée comme les autres. Pourtant, à bien y regarder, cette année qui finit par un 1 pourrait bien devenir un jalon important dans les relations nippo-américaines comme cela a été le cas depuis 1941. Le 7 décembre 1941, “jour de l’infamie”, comme l’avait baptisé Franklin D. Roosevelt, est la première date d’une longue série d’années en 1 qui ont été un tournant dans les rapports entre Tôkyô et Washington. Depuis 1941, il y a 70 ans, chaque nouvelle décennie a été marquée par des décisions clés qui ont contribué à faire évoluer les liens entre les deux côtés du Pacifique.
Japonais et Américains sous le signe du 1
Lorsque le Japon a décidé de s’attaquer aux Etats-Unis, le 7 décembre 1941, en détruisant une partie de la flotte américaine mouillée à Pearl Harbor, il pensait que le choc procuré par l’attaque surprise mettrait à genoux l’Amérique suffisamment longtemps pour qu’il puisse conforter ses positions en Asie. Mais l’opération, qui a été un succès sur le plan militaire, a finalement amené les Américains à se lancer dans un effort de guerre incroyable afin de “venger” les morts de Pearl Harbor. Jusqu’en 1945, les Etats-Unis ont mené une guerre sans merci contre le Japon, n’hésitant pas à utiliser deux fois l’arme atomique pour faire plier un ennemi jugé redoutable. Le désir de vengeance s’est estompé à mesure que Washington a pris conscience de la montée en puissance de l’Union soviétique et de son influence en Asie. En défintive, l’archipel est devenu le dernier rempart face au communisme qui triomphait en Chine continentale. Dix ans après Pearl Harbor, les Etats-Unis et le Japon signent un traité de sécurité qui transforme les rapports entre les deux Etats. Tôkyô n’est plus l’ennemi, mais devient un allié indéfectible de Washington. Dans la foulée, le traité de San Francisco ramène le Japon dans le concert des nations. Les Américains bienveillants imaginent déjà que les Japonais accepteront sans sourciller leur politique d’endiguement à l’égard des “rouges”. Mais une partie de la population nippone ne l’entend pas de cette oreille. Elle manifeste contre le renouvellement du traité au début des années 1960, de façon parfois violente. D’où la décision de John F. Kennedy de nommer Edwin O. Reischauer, éminent spécialiste du Japon, comme ambassadeur des Etats-Unis à Tôkyô. Celui-ci avait dès 1931 encouragé le gouvernement américain à s’intéresser aux affaires asiatiques, japonaises en particulier. Sa nomination en 1961 au moment où “les relations bilatérales semblaient mal parties” pour reprendre les propos de George R. Packard, président de la Fondation Japon – Etats-Unis, a permis de sauver le couple qui connaîtra d’autres périodes compliquées. 1971 est une date dont les Japonais se souviennent parfaitement, car elle est synonyme pour eux de ce qu’ils appellent les “chocs Nixon”. L’annonce, le 15 juillet, du prochain voyage du président américain en Chine populaire, synonyme de la reconnaissance de Pékin par Washington, a fait l’effet d’une bombe à Tôkyô comme la décision un mois plus tard sur l’inconvertibilité du dollar par rapport à l’or. Il règne au Japon comme un sentiment de trahison. Les relations entre les deux pays connaissent alors des hauts et surtout des bas. Lorsque Nakasone Yasuhiro prend la tête du Parti libéral-démocrate fin 1981 et devient Premier ministre, il reconnaît que “les rapports avec les Etats-Unis n’ont jamais été aussi mauvais”. La crise des missiles entre les Etats-Unis et l’Union soviétique amène cependant le Japon à montrer son attachement à Wa-shington. Le même Nakasone déclare quelque temps plus tard que l’archipel est « le porte-avions insubmersible » de l’Amérique qui ne manque pourtant pas de manifester son agacement face à la réussite économique japonaise. Le pays du Soleil-levant ne peut plus se contenter de bénéficier de la protection américaine. Il doit payer. En 1991, la première guerre du Golfe est l’occasion pour Washington de faire pression sur Tôkyô pour qu’il sorte son chéquier et soutienne financièrement les efforts de la coalition internationale bien décidée à déloger Saddam Hussein du Koweït. Certaines personnalités japonaises finissent par se dire qu’il serait temps que l’archipel devienne “un pays comme les autres” (futsû no kuni). En d’autres termes, le Japon doit essayer de prendre ses distances vis-à-vis de son allié américain, en élaborant une politique plus indépendante. Pas facile pour un pays dont l’économie n’est plus aussi florissante. L’éclatement de la bulle financière en 1991 fragilise les desseins des plus ambitieux des dirigeants japonais qui doivent accepter la plupart des demandes américaines en matière de défense. Quand, le 11 septembre 2001, les Etats-Unis connaissent leur deuxième “jour d’infamie” comme la presse américaine l’écrit en première page, le Japon montre une nouvelle fois qu’il se tient derrière l’Amérique. Peut-être que la comparaison soutenue entre les kamikaze d’Al-Qaida et les kamikaze nippons pendant la Seconde Guerre mondiale ou le rappel de l’infamie commise la première fois à Pearl Harbor ont incité Tôkyô à suivre sans broncher Washington dans sa guerre contre le terrorisme. En 2011, le gouvernement japonais est prêt à passer à une étape supérieure en se disant prêt à entamer des négociations en vue de créer le Partenariat transpacifique (TPP), une initiative commerciale regroupant neuf Etats d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Le Premier ministre Noda Yoshihiko l’a déclaré, le 12 novembre, en marge du sommet de l’APEC à Honolulu. En 1941, Hawaii était devenu le symbole de la déchirure entre les deux pays. Soixante-dix ans plus tard, le cinquantième Etat des Etats-Unis pourrait bien devenir celui de la première étape vers l’intégration économique. Après ça, n’allez pas dire à un Japonais qu’il a tort d’accorder de l’importance aux nombres.
Odaira Namihei