Une croisière dans la baie de Tôkyô, ça vous tente ? Une excellente façon de voir la ville autrement.
Lorsqu’on évoque le nom de Tôkyô, on pense immédiatement à tous ces quartiers qui donnent à la capitale japonaise son attrait. Qui n’a pas rêvé d’aller arpenter les rues de Ginza ou de Shibuya pour découvrir les dernières tendances vestimentaires ? Qui n’a jamais été tenté de se promener à Akihabara pour s’immerger dans la culture pop japonaise ? Qui enfin n’a pas imaginé de partir à la découverte d’Asakusa ou de Shinjuku pour passer quelques bons moments dans l’un des nombreux lieux de détente que ces deux quartiers proposent ? Si tous ces endroits restent très achalandés et continuent à attirer des nombreux touristes japonais et étrangers, il en existe d’autres qui attisent la curiosité d’un nombre croissant de Japonais et de Tokyoïtes. Ces derniers souhaitent en effet voir la capitale autrement et répondent présents aux initiatives lancées par des amoureux de la cité qui leur donnent la possibilité de la découvrir sous un nouveau jour. On oublie souvent de rappeler que Tôkyô est avant tout une ville d’eau. Non seulement elle est un port important, mais elle est aussi traversée par d’innombrables rivières et canaux. Même si la Sumida nous rappelle quelques souvenirs, on a fini par se dire que les fleuves de la capitale avaient été asséchés et remplacés par des autoroutes. Pourtant de nombreux quartiers comme Nihonbashi ou Edobashi sont encore là pour nous rappeler que l’eau est bien présente (bashi, hashi signifient pont en japonais). Lorsqu’on se penche contre la rambarde de l’un des nombreux ponts qui jalonnent la ville, on peut apercevoir de temps en temps de modestes bateaux remplis de touristes le nez en l’air en train d’observer l’architecture étonnante des échangeurs d’autoroutes dont les piliers sont enfoncés profondément dans le lit de la rivière. Apparues au début des années 1960 alors que Tôkyô s’apprêtait à accueillir les Jeux olympiques de 1964, ces structures d’acier ont suscité à l’époque de nombreuses critiques de la part de ceux qui voyaient en elles des instruments pour défigurer leur ville. Malgré leurs protestations, elles ont été construites et on a fini par s’y habituer sans pour autant y prêter plus d’attention. Symboles du développement du pays quand celui-ci s’apprêtait à rejoindre le club des grandes puissances économiques de la planète, ces autoroutes font depuis quelques mois l’objet d’un certain culte. On a vu l’écrivain Murakami Haruki s’en emparer pour en faire le point de départ de son roman 1Q84 [éd. Belfond], mais surtout on constate un accroissement rapide des offres de croisières sur les rivières et les canaux de la capitale au cours desquelles les passagers découvrent avec étonnement et ravissement l’envers de ces constructions a priori peu attrayantes. Faut-il y voir une forme de nostalgie à l’égard d’un Japon dynamique qui depuis des années s’est enfoncé dans la crise ? C’est une explication qui tient la route quand on connaît l’engouement des Japonais pour les années 50-60 qui incarnent à leurs yeux l’une des périodes les plus heureuses du pays malgré des conditions de vie pas toujours réjouissantes. Au-delà de ce besoin de se replonger dans un passé susceptible d’entretenir le mythe d’un Japon aujourd’hui disparu, les touristes qui participent massivement à ces croisières viennent aussi découvrir l’architecture industrielle de Tôkyô.
“C’est une façon vraiment originale d’appréhender ma ville”, explique Yôko. Cette jeune femme de 28 ans est accompagnée de trois amies bien décidées à profiter de cette croisière pour faire des découvertes. La clientèle féminine est d’ailleurs assez nombreuse et représente près de la moitié de la clientèle, ce qui n’a pas manqué d’étonner les organisateurs qui s’attendaient à avoir principalement des hommes plus âgés. “Cette présence féminine illustre bien que c’est un sujet qui touche le plus grand nombre. Grâce à ces croisières, les passagers prennent la mesure réelle de la ville. Ce n’est pas comme dans les rues où les constructions sont enveloppées dans de beaux emballages. D’ici on voit les choses dans leur dimension la plus brute. Cela ne veut pas dire pour autant que cela soit laid. Les structures et les bâtiments que nous croisons au cours de ce voyage révèlent un vrai charme”, affirme Yamazaki Hirofumi qui organise des croisières au sein de l’Association Boat People (BPA). L’idée qui anime les membres de cette association est de permettre aux Tokyoïtes de faire un voyage dans le temps afin de s’approprier l’histoire de la ville et de mieux en comprendre le développement. “On oublie souvent qu’Edo (ancien nom de Tôkyô) était une ville d’eau et que son évolution est liée en grande partie à la façon dont les hommes ont su mettre en valeur les fleuves et rivières”, rappelle M. Yamazaki. Voilà pourquoi, les croisières qu’il organise une fois tous les deux mois ont une vocation plus pédagogique que celles qui partent du sud de la capitale, non loin de Kawasaki, pour remonter vers le nord dans la baie de Tôkyô. Ces croisières répondent avant tout au désir des clients de voir de leurs propres yeux les infrastructures industrielles qu’ils ont redécouvertes en 2007 dans Kôjômoe [Par amour des usines, éd. Tôkyô Shoseki, inédit en français] le très bel ouvrage signé Ôyama Ken et Ishii Satoru. Lors de sa sortie, le livre a suscité de nombreuses réactions enthousiastes dans les médias qui ont à la fois souligné l’esthétisme de l’architecture industrielle et son importance dans l’histoire du pays. Il n’en a pas fallu plus pour encourager les curieux à vouloir se rendre à proximité de ces géants d’acier pour les voir de leurs propres yeux. Plusieurs sociétés ont ainsi mis en place des parcours qui leur permettent non seulement d’en prendre plein la vue, mais aussi de regarder la ville d’une façon pour le moins originale. Les amoureux de la photographie peuvent s’en donner à cœur joie. Des empilements des conteneurs multicolores aux raffineries dont les enchevêtrements de tuyaux font penser à des robots géants au repos, les occasions de sortir son appareil photo ne manquent pas. Au cours de la croisière, les passagers prennent rapidement conscience du poids industriel du sud de la capitale. Même si la désindustrialisation va bon train depuis une trentaine d’années, il reste encore de nombreuses traces du passé glorieux de l’industrie japonaise.
A la tombée de la nuit, lorsque les sites industriels s’illuminent, ils prennent une toute autre dimension face à laquelle il est difficile de résister. On a beau se souvenir que la plupart de ces usines ont contribué en leur temps à la pollution atmosphérique de la capitale nippone, on les regarde désormais avec un œil plus clément. Sur le bateau, les conversations vont bon train. Les plus jeunes se souviennent d’histoires que leurs parents racontaient, tandis que les plus âgés, peu nombreux, observent le spectacle en silence, un peu comme s’ils se recueillaient.
Mais le calme ne dure pas longtemps. Le bateau s’approche de l’aéroport de Haneda et de sa nouvelle piste construite sur la mer. Ancienne porte d’entrée aéroportuaire de la capitale avant que ne soit ouvert l’aéroport de Narita, Haneda avait vu son trafic baisser de façon considérable pour se concentrer essentiellement sur les vols intérieurs. La création de la nouvelle piste D a relancé son activité internationale. Plus proche du centre de Tôkyô, Haneda redevient à la mode ces derniers temps. Une chance pour les passagers de la croisière qui applaudissent en voyant se poser un Boeing 747 comme ils n’en avaient jamais vu auparavant. Pour peu que le ciel soit dégagé, le spectacle est grandiose et on en redemande. Le bateau s’éloigne de Haneda et prend la direction du canal Daishi et du canal Shiohama où de nouvelles découvertes industrielles attendent les curieux. On est loin des immeubles de verre du centre de la ville. Ici le métal est roi. Son côté brut tranche avec les courbes des nouveaux bâtiments construits ces dernières années à Roppongi. Nous sommes pourtant à Tôkyô, côté pile. Dans quelques minutes, nous retrouverons son côté face qui ne manquera pas non plus de nous surprendre, mais qui sera loin de nous apporter les mêmes surprises, car cet aspect de la ville est largement traité dans les reportages qui paraissent régulièrement sur la capitale japonaise.
Gabriel Bernard
Référence :
Zeal Tokyo Yokohama Party Cruising
La prochaine croisière organisée par cette société aura lieu le 23 décembre. 5800 yens (2900 yens pour les enfants). http://zeal.ne.jp/plan/202.html