Le japonais regorge de ces mots et expressions, sans véritable équivalent en français, qui façonnent les mentalités.
La langue maternelle impose, dans certains cas, un cadre très contraignant, voire handicapant. Lorsqu’on nous signale par exemple dans une langue étrangère quelque chose que nous ne saisissons pas bien, notre réflexe est souvent de nous dire : « Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire en français ? » Nous cherchons la facilité de la traduction. Raccourci paresseux de l’esprit englué dans un système de pensée forgé par la langue maternelle et que le temps a tendance à figer. Tout ça parce que cette langue maternelle serait la langue par défaut que notre cerveau identifierait comme cible de nos pensées? Peut-être. Sans doute, même. Et si ce n’était pas également parce que nous avons peur de larguer les amarres en nous cramponnant à nos repères linguistiques ? A vouloir se rassurer par des mots « bien de chez soi », on se ferme des portes, on s’interdit de découvrir ces nouveaux chemins que ne fréquente parfois que la langue japonaise. Car il y a en japonais des mots ou expressions considérés en français comme « intraduisibles », des mots qui se rattachent à une situation bien précise, à un comportement « bien d’ici », et dont la traduction relève plus de la réinterprétation que de l’équivalence verbale. Ces mots, qui renvoient à la culture et aux mentalités, rythment le quotidien des Japonais à une fréquence qui les rend incontournables.
いってらっしゃい!
Itterasshai !
A plus tard !
La traduction littérale de cette formule, adressée à quiconque quitte un lieu avec l’intention, sous-entendue mais non moins ferme, d’y revenir à un moment tout aussi sous-entendu, donnerait plutôt : “Pars et reviens”, ce qui, il faut en convenir, n’a pas toute la chaleur et la bienveillance du japonais. Alors on s’adapte, on fait avec nos mots. Mais on est loin du Japon.
いってきます!
Ittekimasu !
J’y vais !
Exorde à la formule précédente, cette expression se traduirait littéralement par « Je pars et je reviens ». Du français fabriqué, antinaturel, que l’on pourrait encore une fois tout à fait traduire par “A plus tard », le contexte faisant le reste. Contexte qui suffit également à saisir le sens des deux expressions employées lorsqu’ensuite on rentre au bercail : ただいま (tadaima)!/ お帰りなさい (okaerinasai)!
“Me revoilà” traduit parfaitement la première. Mais pour la deuxième, il semble n’y avoir que du français forcé, qui sonne faux. “Bon retour” ? Absurde. “Bienvenue chez toi” ? Excessif. Selon le contexte, on optera plus spontanément pour un bonjour ou bonsoir de circonstances. Le naturel est sauf, mais le sens en prend un sacré coup.
Pierre Ferragut
Pratique :
Le mot du mois
何となく (nantonaku) : vaguement
訳さなくても、何となく分る。
Yakusanakute mo, nantonaku wakaru.
Même sans traduire, on comprend vaguement.