Dans les régions touchées par le tsunami, la plupart des bibliothèques et librairies ont été détruites. L’exemple de Minami Sanriku.
Mardi 6 décembre 2011. Rendez-vous a été pris avec Yamauchi Hiroshi, responsable de la bibliothèque de Minami Sanriku. Nous préparons un reportage sur les bibliothèques et les librairies dans les zones touchées par le séisme et le tsunami du 11 mars. Minami Sanriku a été une des villes les plus touchées par la déferlante et nous voulons savoir si la ville a bénéficié du vaste mouvement de solidarité lancé par plusieurs bibliothèques et éditeurs pour offrir des livres aux victimes. Pour circuler dans cette région côtière, la voiture reste le moyen le plus pratique, car les lignes de train emportées par la vague géante ne fonctionnent pas toutes. Aussi entrons-nous les coordonnées de la bibliothèque de Minami Sanriku dans le GPS pour qu’il nous y conduise. Nous avons fixé l’heure de la rencontre à 16 h de façon à pouvoir bénéficier de la lumière du jour pour faire quelques photographies. Après quelques kilomètres, la voix synthétique du GPS nous indique de tourner à gauche, la bibliothèque ne se trouvant plus qu’à une cinquantaine de mètres de là. Mais inutile de tourner, il n’y a plus de route, il n’y a plus rien. Nous sommes arrivés dans la zone portuaire de Minami Sanriku où se trouvait le bâtiment avant les événements. Il a été totalement détruit par le tsunami. Un des employés n’a pas réussi à en réchapper. Nous finissons par obtenir la nouvelle adresse de la bibliothèque sise désormais sur une colline. “Il ne faut pas qu’on connaisse un nouveau drame”, confie M. Yamauchi. La nouvelle bibliothèque est installée dans trois petits préfabriqués que la municipalité a placés à proximité de la grande salle multisports de la ville. “Elle a servi de centre d’accueil pour les réfugiés, explique le bibliothécaire. On se rapprochait ainsi des gens qui pouvaient en avoir besoin”. La bibliothèque de Minami Sanriku a rouvert le 5 octobre 2011, tandis que le centre d’accueil fermait ses portes pour retrouver son affectation initiale liée au sport. “Les gens qui fréquentent la salle ne sont guère férus de lecture”, confie M. Yamauchi, en faisant la moue. Mais cela ne le décourage absolument pas. Il a bien l’intention de se démener pour redonner le goût pour l’écrit. “On a toujours besoin d’un livre”, insiste-t-il, en se tournant vers ses collègues parmi lesquels figurent deux jeunes recrues fraîchement arrivées. Leur mission est de s’occuper du bibliobus qui circule dans toute la ville pour apporter des livres à ceux qui ne peuvent pas se déplacer.
Cette formule fonctionne plutôt bien, même si le choix est limité. “Nous essayons de proposer des nouveautés et de nous adapter aux goûts des gens”, poursuit M. Yamauchi. Comme d’autres bibliothèques de la région, sans oublier les librairies, celle de Minami Sanriku a perdu l’ensemble de son fond. Du jour au lendemain, il a fallu reconstituer une base sur laquelle pourrait être bâtie la future bibliothèque de la ville. Un budget a été réservé à cette fin, mais c’est surtout grâce à un vaste mouvement de solidarité nationale que les premiers livres ont pris place dans les rayonnages. “Nous avons reçu 10 000 ouvrages, mais nous n’avons la place que pour 3 000 environ. La majorité reste pour l’instant dans des cartons, mais c’est formidable de pouvoir compter dessus”, affirme M. Yamauchi. Son objectif est désormais de s’assurer que les habitants retrouvent le chemin de la bibliothèque. “Nous aménageons progressivement nos horaires pour permettre aux gens de venir après le travail. Avant le séisme, nous étions la seule bibliothèque du Japon ouverte le dimanche. Pour l’instant, ce n’est plus le cas. Mais j’espère que nous reviendrons à cette pratique. La décision repose entre les mains des hommes politiques. Malheureusement, ils ne semblent pas pressés de trancher”, ajoute le bibliothécaire visiblement passionné par son travail. Il a conscience que l’accès à la lecture est un bon moyen pour les sinistrés de retrouver goût à la vie. “Ceux qui viennent empruntent des ouvrages qui leur permettent de se changer les idées. Les romans d’amour ont pas mal de succès. En revanche, il n’y a pas grand monde pour consulter les documents portant sur le séisme du 11 mars”, dit-il en montrant un coin où l’on distingue une vingtaine de livres tout format avec des images de la tragédie en couverture. “C’est encore trop tôt. Mais c’est important de les posséder. Ça fait partie de notre histoire commune”. Il en profite pour revenir sur sa principale préoccupation qui est la faiblesse de la fréquentation de la nouvelle bibliothèque. “Il faut que nous fassions parler de nous. Nous avons des livres, c’est très bien. Maintenant, nous devons attirer les lecteurs. Il faudrait qu’on puisse organiser un événement qui mobiliserait l’attention”, lance-t-il tout haut, en se tournant vers ses collègues. Il a sans doute raison, mais ce n’est pas facile pour une toute petite ville et une minuscule bibliothèque de faire venir un écrivain connu. “A Sendai, ils ont de gros moyens. La médiathèque est énorme et c’est plus facile d’y créer des événements”. On ne peut pas contester cette réalité, mais on peut se dire aussi que les nouveaux locaux de la bibliothèque ont été inaugurés récemment et qu’il faudra un peu de temps pour que les habitants aient le réflexe de s’y rendre. Dans les semaines qui ont suivi le tsunami, un semblant de bibliothèque a été mis en place dans le hall de l’hôtel Kanyô, énorme établissement en bord de mer miraculeusement épargné par le tsunami. Elle fonctionne plutôt bien aujourd’hui après un démarrage assez lent. On y trouve pas mal de livres pour les enfants comme d’ailleurs dans les rayons de la bibliothèque gérée par M. Yamauchi. C’est par eux que le salut viendra. “Ils sont très demandeurs d’histoires. On voit des mères et des pères de famille qui viennent avec leur fils ou leur fille pour leur lire des livres”, dit-il en souriant. Le chantier ne fait que commencer à Minami Sanriku, mais le maître d’œuvre est apparemment très motivé.
Gabriel Bernard