Sorti depuis le 29 août sur les écrans de l’Hexagone, Les Enfants loups, Ame et Yuki est le dernier chef-d’œuvre du réalisateur japonais. Il nous a reçus à Tôkyô pour évoquer son parcours, ses influences et son film événement.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans l’univers du cinéma?
Hosoda Mamoru : Quand j’avais 12 ans, j’ai acheté un numéro du mensuel Animage dans lequel il y avait un dossier consacré au film Le Château de Cagliostro. C’était le deuxième film de la série. On pouvait lire les noms de Miyazaki Hayao ou encore de Ôtsuka Yasuo que je ne connaissais pas à l’époque. Je suis alors allé voir le film et ce fut un énorme choc. Je finissais ma dernière année de l’école primaire et je me souviens d’avoir écrit dans ma rédaction de fin d’année : “Je veux devenir réalisateur de dessin animé comme Miyazaki Hayao”.
Etiez-vous aussi un grand lecteur de mangas?
H. M. : Mes parents ne m’achetaient pas beaucoup de mangas, mais ma mère étant cinéphile, elle me laissait regarder des films. Grâce à elle, j’ai pu en voir beaucoup. J’étais donc naturellement plus attiré par le cinéma que par les mangas.
Quel est votre film préféré ? Et qui est votre réalisateur préféré ?
H. M. : Au niveau du cinéma japonais, il y a le réalisateur Sômai Shinji aujourd’hui décédé. Dans les années 1980, il était particulèrement actif. J’ai beaucoup aimé par exemple Sailor Suit and Machine Gun et Typhoon Club. J’ai commencé à m’intéresser au cinéma européen quand j’étais à l’université. C’est à cette époque-là que Intervista de Fellini est sorti. Et puis, quand j’ai vu Leos Carax, j’ai été ébloui par son talent. Il y en a plein d’autres bien sûr, mais je me rappelle que le premier film de Victor Erice, L’Esprit de la Ruche m’a vraiment touché. Quand on me demande quel est mon film préféré, je cite d’ailleurs toujours celui-ci.
Vous ne pensiez pas vous lancer dans le dessin animé à cette époque-là ?
H. M. : Non. J’étudiais la peinture à l’université et m’intéressais à l’art moderne. Petit à petit, je me suis de plus en plus tourné vers les images et le cinéma.
A la sortie de l’université, vous avez fait votre entrée chez Tôei Animation.
H. M. : En effet. J’aurais pu devenir réalisateur indépendant, mais je voulais avoir une expérience de travail dans une grande équipe. C’est pour cela que je suis entré à la Tôei.
A la Tôei, vous avez commencé par créer des œuvres pour enfants. Y avait-il un décalage entre ce que vous vouliez faire et ce que vous faisiez ?
H. M. : Comme vous pouvez l’imaginer, il y avait un décalage. Réaliser des œuvres pour enfants était complètement différent de ce que je faisais avant. Ce qui me perturbait, c’est que les enfants ne connaissent pas encore les règles de vie. J’avais du mal à trouver une bonne méthode pour communiquer avec eux. J’ai donc beaucoup réfléchi à la mise en œuvre d’une nouvelle technique pour les amener à s’intéresser à mon travail. Au regard de cette expérience, je pense qu’il est enrichissant pour un réalisateur de créer pour les enfants. Ça m’a notamment permis d’apprendre quelque chose de très important, la communication avec les personnes qui n’ont pas le même sens commun.
Pensez-vous que c’est pour cela que vos films sont appréciés dans le monde entier ?
H. M. : C’est bien possible. En général, et cela ne concerne pas seulement le Japon, les auteurs se reposent sur la culture de leur pays et sur des références qu’ils n’ont pas besoin d’expliquer. Pour ma part, je me pose souvent la question de savoir ce que nous pouvons partager en tant qu’êtres humains en dépit de nos différences culturelles.
Qu’est-ce qui vous a permis de créer votre propre œuvre ?
H. M. : Ça faisait longtemps que je voulais réaliser un long métrage. Quand je travaillais à la Tôei, j’ai reçu une offre du Studio Ghibli qui me proposait de diriger la réalisation du film Le Château ambulant. Comme je n’avais réalisé que des courts et moyens métrages, j’étais tellement content que je me suis précipité au studio Ghibli. Mais en définitive, le projet s’est fait sans moi. En tout cas, cela m’a donné de plus en plus envie de faire un long métrage. Je me suis dit que si je restais à la Tôei, je n’arriverais jamais à cet objectif. Du coup, j’ai quitté Tôei Animation pour entrer chez Madhouse. C’est comme ça que j’ai pu réaliser La Traversée du Temps.
Cela n’a-t-il pas été trop dur de quitter un endroit où vous êtes resté longtemps pour vous lancer dans une nouvelle aventure ?
H. M. : Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui souhaitent réaliser leur propre film. Mais c’est quelque chose de très difficile. De plus, si l’on échoue la première fois, il n’y a pas de seconde chance. Tout le monde ne peut pas avoir cette chance. Si celle-ci se présente, il faut tout donner pour le film au risque de mettre en péril sa vie, son avenir, sa famille et son amour-propre. Il était donc hors de question pour moi de rester à la Tôei. Je voulais absolument réaliser un film. J’étais prêt à sacrifier beaucoup de choses pour y parvenir. C’était un drôle de sentiment. Mais j’avais vraiment l’impression d’être arrivé à un point de départ.
Venons-en à votre dernier film Les Enfants loups, Ame et Yuki. Comment est né ce nouveau projet après le succès de La traversée du temps et de Summer Wars ?
H. M. : La Traversée du Temps était un film d’amour. Puis, j’ai fait Summer Wars basé sur mon expérience du mariage. Les Enfants loups, Ame et Yuki s’intéresse à la manière dont on élève un enfant. C’est quelque chose qui concerne beaucoup de gens. Chaque individu a des parents. C’est donc un thème commun à l’ensemble des êtres humains. Malgré cela, il y a peu de films consacrés à ce sujet.
Dans vos films, la femme est souvent le personnage principal ?
H. M. : C’est vrai. Les femmes sont filmogéniques. Je recherche toujours quelqu’un d’une grande vitalité pour incarner le rôle principal. Quelqu’un en mesure de surmonter toutes sortes de difficultés.
Cela signifie-t-il que les femmes ont plus de vitalité que les hommes ?
H. M. : Oui, je le pense. La vitalité des hommes est différente. Pour résumer, on pourrait dire que pour les hommes, il s’agit de « gagner ou perdre ». Que ce soit dans le domaine du travail ou de l’amour, les hommes réagissent toujours de cette manière. Pour les femmes, cette notion de « gagner ou perdre » n’a pas de valeur. Elles font des choix de vie différents. Chacune met en avant sa propre valeur et son propre sens de la vie. Les hommes sont trop simplistes. Nous nous appuyons que sur une seule valeur. Et nous ne sommes pas filmogéniques. Voilà pourquoi je m’inspire des femmes pour décrire la vitalité, car elles sont en mesure de changer le cours de la vie. C’est une façon pour moi de me sentir réconforté en les regardant.
D’après vous, les événements tragiques du 11 mars 2011 ont-ils eu une influence sur la notion de famille au Japon ?
H. M. : Je pense que la façon de penser des Japonais concernant la famille a beaucoup évolué depuis le séisme. Je crois qu’ils ont pris conscience de ce qui était le plus important. Avant on disait : « ça c’est important, ça aussi, c’est important ». On finissait par tout mettre au même niveau. Après le 11 mars, je crois que nous avons remis l’enfant au cœur de nos priorités. On a finalement compris que l’essentiel, c’est d’élever nos enfants même si le monde était totalement détruit. De nouvelles questions ont vu le jour : « En cas de crise majeure, comment peut-on les élever ? De quoi avons-nous besoin pour cela ? » Depuis le séisme, nous avons compris qu’il n’y avait qu’une chose essentielle : « Protéger et élever nos enfants ». De ce fait, je pense qu’il y a un lien logique et étroit entre Les Enfants loups, Ame et Yuki et le Japon de l’après 11 mars.
Lors de l’avant-première mondiale du film qui s’est déroulée en France, on vous a beaucoup posé de questions concernant la place de la nature dans le film. Est-ce que vous pensiez dès le début planter le décor à Toyama, la région où vous avez grandi ?
H. M. : Le sujet du film portant sur les liens entre enfants et parents, j’ai beaucoup pensé à ma mère. Je suis enfant unique. Je me suis interrogé sur les sentiments qu’avait eus ma mère en m’élevant. Je me suis aussi demandé si j’avais pu apporter quelque chose pour ma mère en tant que fils. Ma mère étant décédée, je n’ai pas pu lui poser la question, mais j’ai songé à cela en réalisant ce film. Voilà pourquoi je me suis tourné naturellement vers ma région natale pour tourner Les Enfants loups, Ame et Yuki.
Ce n’était donc pas pour décrire le contraste entre une grande ville et la campagne ?
H. M. : Non. Il est vrai que l’on me demande souvent si je n’ai pas fait un film pour décrire et opposer la nature et la ville. En fait, je voulais juste montrer, pour des raisons personnelles, des enfants qui grandissent à la campagne. Tout le monde n’a pas la chance de grandir à la campagne. Je me suis donc dit que ce serait bien de le montrer pour éventuellement imaginer de nouvelles façons de construire sa vie.
La campagne est un modèle ?
H. M. : Oui. Je pense que la campagne n’est pas seulement un endroit où la nature est généreuse et bonne pour l’humanité. La région où je suis né, par exemple, est assez sauvage. C’est un village situé au pied des Alpes japonaises du nord. L’environnement y est plutôt rude. En comparaison, dans des grandes villes comme Paris ou Tôkyô où l’on a accès à tout, il est facile d’élever des enfants. C’est pourquoi il m’a semblé intéressant de montrer comment on élève des enfants et comment ils grandissent dans un cadre campagnard.
En France aussi, il existe le même engouement pour les questions écologiques. Mais la plupart du temps, nous avons une vision un peu trop idéaliste qui n’a rien à voir avec la réalité. On a tendance à embellir les choses.
H. M. : Je suis tout à fait d’accord. La nature n’est pas facile. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a aucune connotation écologique dans ce film. Il suffit de se souvenir du 11 mars 2011. Ce jour-là, la nature a détruit beaucoup de vies. On ne peut pas dire qu’elle soit tendre avec nous. Néanmoins, malgré ces conditions, l’humanité a réussi à survivre. Cela fait 30 ou 40 ans que l’on essaie de protéger la nature des progrès de la civilisation. Mais au regard de l’histoire de l’humanité, la nature a toujours été la plus forte. Elle peut être dangereuse comme elle l’a montré le 11 mars. Aussi il est essentiel de penser au bien des enfants quel que soit l’environnement dans lequel on se trouve.
En regardant le film, on se demande si vous n’avez pas voulu décrire le côté sauvage de l’homme avec ces personnages mi-loups, mi-humains ?
H. M. : J’ai choisi de créer des personnages mi-loups, mi-humains, car je pense qu’ils sont représentatifs de ce que sont les enfants. Je pense qu’ils possèdent deux visages, l’un plus proche de la nature et l’autre plus proche de la civilisation. En grandissant, ils perdent petit à petit leur côté naturel. Ils prennent conscience de la société et deviennent des humains. On appelle ce processus le passage à l’âge adulte, mais cela ne me convainc pas. Il y a des gens qui parviennent à conserver leur côté sauvage et qui arrivent à vivre en restant naturel.
Au début du film, c’est la fille, Yuki, qui est la plus proche de l’univers des loups. Mais à un moment donné, elle se tourne vers le monde des humains. Est-ce qu’il y a un sens à cette évolution ?
H. M. : Son petit frère Ame est un enfant un peu faible au début, mais il choisit en grandissant de se tourner vers le monde des loups. Les enfants empruntent plusieurs voies lorsqu’ils grandissent. Ils n’empruntent pas toujours le même chemin. Ils peuvent complètement changer et cela fait partie de la dynamique de la croissance. Yuki est une fille très curieuse et vivante. Quand elle entre dans le monde des humains, elle s’y intègre naturellement. Par contre, Ame est prudent. Il ressemble de plus en plus à son père. Il finit d’ailleurs par s’habiller et penser comme lui. Le moment où Ame et Yuki voient leur destin se transformer est très important dans ce film.
On peut aussi se demander si vous n’avez pas voulu traiter du mariage international en choisissant l’union entre l’homme loup et Hana.
H. M. : Le loup peut représenter n’importe qui, tout dépend du spectateur. Il ne s’agit pas seulement de l’union entre la nature et la civilisation. On peut aussi voir le mariage entre deux personnes de différentes cultures. Tout cela existe partout et chacun a sa propre valeur. Chaque spectateur peut le comprendre à sa manière.
Est-ce un hasard si la date de validité qui figure sur le permis de conduire du père soit le 11 mars ?
H. M. : C’est tout à fait fortuit. En fait, son anniversaire est le 11 février. Au Japon, le permis de conduire est valable un mois après la date d’anniversaire. Voilà pourquoi c’est le 11 mars qui figure sur ce document qui apparaît plusieurs fois dans le film. Cela dit, même s’il s’agit d’un pur hasard, on ne peut s’empêcher d’essayer de trouver une signification avec la situation qui prévaut actuellement au Japon. Quand il meurt dans le film, la seule chose qu’il reste de lui, c’est son permis de conduire. Le 11 mars 2011, il se peut que de nombreuses personnes se soient retrouvées dans la même situation. Le fait que Hana, l’héroïne, se soit retrouvée seule avec ses enfants, en héritant de la volonté de son mari défunt est aussi très symbolique.
Ce n’est pas un des personnages principaux, mais est ce qu’il y avait un modèle pour le grand père Nirasaki ? On a l’impression qu’il ressemble un peu à Clint Eastwood dans son film Grand Torino.
H. M. : Puisque vous le dites. Je suis un grand fan de Clint Eastwood. Je pense qu’il est le meilleur réalisateur vivant dans le monde. Dans ses films, le regard qu’il porte sur les personnes les plus faibles est toujours généreux. Il décrit tellement bien la société. C’est un réalisateur extraordinaire. Ce n’est donc pas étonnant que ce personnage lui ressemble.
Pourriez-vous nous parler un peu de votre équipe ?
H. M. : Sadamoto Yoshiyuki est le character designer avec qui je travaille depuis La Traversée du Temps. Je n’imaginais pas faire ce film sans lui. Yakagi Masakatsu a fait la musique. C’est la première fois que nous travaillons ensemble. C’était aussi pour lui une première expérience dans le domaine de la musique de film. Mais ce qu’il a composé est vraiment subtil et touchant. Il a un talent que l’on rencontre rarement dans ce domaine.
Avez-vous d’autres projets à venir ?
H. M. : Je ne pense pas au futur avant d’achever un film. En écoutant les avis des spectateurs, je commence à comprendre ce qu’ils ont ressenti, ce que nous avons besoin aujourd’hui, ce qui est important, etc. Ça me donne un peu de grain à moudre et je peux ainsi commencer à écrire une nouvelle œuvre.
Ces derniers temps, des magazines ont pu écrire que vous étiez le futur Miyazaki.
H. M. : Je ne suis pas Miyazaki Hayao. C’est lui qui m’a attiré dans ce monde, mais quand je crée un film, je ne le fais pas pour lui ressembler. J’ai juste envie de créer un film qui suscite l’intérêt du public. Ce qui est intéressant dans le cinéma, c’est la capacité du réalisateur à créer une perception multiple chez le spectateur. Je ne peux pas dire que je n’ai pas été influencé par Miyazaki Hayao, mais j’aimerais réaliser des films intéressants qui me sont propres.
Pour finir, avez-vous un message pour nos lecteurs ?
H. M. : Je pense que Les Enfants loups, Ame et Yuki est une œuvre innovante et qu’elle suscitera beaucoup d’avis mitigés. J’aimerais connaître vos réactions, car ce film raconte beaucoup de choses. Les scènes de ce film se déroulent au Japon, mais j’espère que vous le regarderez en imaginant, tout aussi bien, un paysage français, votre mère, vos enfants et vos proches.
Propos recueillis par Yatabe Kazuhiko avec Odaira Namihei
Biographie :
Hosoda Mamoru est né en 1967 dans la préfecture de Toyama. En 1991, il entre à la Tôei Animation où il est employé en tant qu’animateur. Après s’être fait remarqué pour son talent, il entame une carrière indépendante. En 2006, il réalise La Traversée du temps qui lui vaut de nombreuses récompenses. Trois ans plus tard, il sort Summer Wars avec le même succès. En 2011, il fonde sa propre maison de production Studio Chizu et sort cette année Les Enfants loups, Ame et Yuki.