Pour son baptême du feu, Komikku éditions assure avec une série de qualité tandis que Delcourt confirme la qualité de ses choix.
Malgré un marché du manga qui marque le pas, il est toujours encourageant, sinon rassurant, de voir de jeunes entrepreneurs se lancer dans l’aventure éditoriale. D’autant plus qu’il reste de nombreux titres de qualité à traduire et à distribuer en France. Sam Souibgui, déjà propriétaire de la célèbre boutique Komikku à Paris, l’a bien compris. Il a profité de l’expérience acquise auprès des éditeurs pour lancer sa propre maison d’édition et proposer une première série L’Île infernale dont le tome 1 est paru le 11 octobre dernier. Il a pris son temps pour choisir le titre et s’assurer que le résultat serait à la hauteur des attentes d’un public de plus en plus exigeant. Autant le dire tout de suite, l’œuvre en trois volumes signée Ochiai Yûsuke est de belle facture et Komikku Editions a déjà rempli une partie de son contrat à l’égard des lecteurs français, en leur offrant un manga qui se savoure de la première à la dernière page. Le seul reproche que l’on pourrait lui faire, c’est de nous laisser attendre trois mois avant de publier le deuxième volume et six mois pour le troisième et dernier.
L’histoire commence par un constat, celui de la montée de la criminalité dans l’archipel depuis que le pays s’est enfoncé dans la crise économique au début des années 1990. “La criminalité du pays atteignait des sommets vertigineux, comparables à ceux des pays occidentaux”, peut-on lire dans les premières pages de L’Île infernale. Il faut dire que l’augmentation de la délinquance et des délits au Japon au cours des deux dernières décennies est devenue un sujet de préoccupation des Japonais impressionnés par les statistiques que les journaux ont publiées en première page. L’introduction des jurys populaires dans le système judiciaire est aussi un des points de départ de cette histoire, soulignant au passage que la participation directe des citoyens dans la justice s’est traduite par une accentuation des peines prononcées. Mais dans l’histoire imaginée par Ochiai Yûsuke, la peine de mort a disparu, elle a été abolie pour laisser place au bannissement sur une île perdue au milieu de l’océan. C’est là que Mikoshiba Ei est envoyé. Ancien journaliste, il a commis plusieurs meurtres pour pouvoir être envoyé sur l’île infernale. Il s’est fixé pour objectif de retrouver l’assassin de sa famille. Débarqué dans un environnement où seuls les plus forts parviennent à survivre, Mikoshiba entame sa quête. Contrairement aux apparences, L’Île infernale n’est pas un manga bourré de violence gratuite. Au contraire, et c’est cela qui fait sa force, il offre une réflexion sur l’usage de cette dernière et notamment la façon dont les hommes l’instrumentalisent pour asseoir leur pouvoir. Mikoshiba est aussi un personnage complexe dont l’auteur nous livre par petites touches le passé et la colère qui l’habite. A cela s’ajoute une mise en page dynamique, des décors maîtrisés qui rendent l’impression lourde et étouffante de l’île. Bref, une excellente série que l’on dévore avec un réel plaisir. En attendant de pouvoir connaître la suite en janvier prochain, on peut avantageusement se plonger ou se replonger dans la série Coq de combat que les Editions Delcourt rééditent depuis le printemps dernier. Derrière une histoire qui fait la part belle à la violence se profile un manga réaliste et critique de la société contemporaine. Il faut donc dépasser les a priori que l’on pourrait avoir à l’égard d’une série qui se déroule en partie dans l’univers carcéral où, on le sait, les détenus sont loin d’être des enfants de chœur. Non seulement, il s’agit d’une œuvre aboutie sur le plan graphique avec des traits précis qui soulignent tout le réalisme du récit, mais aussi au niveau du scénario qui ne laisse pas indifférent. A ajouter sur la liste de vos prochains achats.
Gabriel Bernard