Quelle est votre définition du mingei ?
Ôkuma Takeo : C’est une question très difficile. Du temps de Yanagi Sôetsu et de ceux qui ont lancé le mouvement mingei, le terme désignait les “beaux” objets réalisés par des artisans anonymes. Mais au cours des dernières années, son périmètre s’est sensiblement élargi. En fait, cela ne concerne pas seulement les objets réalisés par des artisans anonymes et que Yanagi mettait en avant. Le terme englobait plus largement des céramistes ou des peintres qui participaient au mouvement comme Hamada Shôji ou Munakata Shikô. Je comprends ce que Yanagi et les autres membres du mouvement cherchaient à défendre. Désormais, il est très rare de trouver des objets qui répondent à la définition originelle. Du coup, je pense qu’il est plus juste de choisir une approche inverse de celle de Yanagi et de ses compagnons dont le principe était de dire “ceci est du mingei”. Il faudrait plutôt dire “ceci n’est pas du mingei”.
Les Japonais semblent retrouver un certain intérêt pour le mingei. Qu’en pensez-vous ?
Ô. T. : Je pense qu’il y a un intérêt accru pour l’artisanat en général plutôt que pour le mingei à proprement parlé. D’une certaine façon, le terme mingei est devenu un mot générique. Pour revenir à l’engouement des Japonais pour l’artisanat, cela peut s’expliquer de différentes manières. Mais je crois qu’il s’agit avant tout d’une réaction au phénomène de la globalisation. L’homogénéisation de nos sociétés liée en grande partie au développement des outils de communication et d’information incite de nombreuses personnes à regarder vers ce qui est local. Voilà pourquoi l’artisanat intéresse. C’est une tendance que l’on retrouve ailleurs dans le monde. La crise financière de 2008 n’est pas plus étrangère à cela. Les produits de luxe ou les objets de design sont devenus moins attractifs et on a moins les moyens d’en profiter. Il y a désormais l’envie de pouvoir profiter d’une vie et de choses simples plutôt que de rêver devant des objets hors de portée. Le mingei et l’artisanat en général trouvent ainsi tout leur sens dans cet environnement. Enfin, la numérisation de nos sociétés et la place donnée au virtuel incitent aussi les gens à se tourner vers des biens et des valeurs “analogiques”. Cela les amène à redécouvrir le mingei et l’artisanat qui satisfont leurs cinq sens.
En quoi consiste votre travail chez Claska ?
Ô. T. : J’ai le poste de directeur. Cela recouvre à la fois la direction de tous les magasins, les achats de produits, la planification des expositions ou encore la gestion. A l’origine, je m’occupais d’architecture d’intérieur. Je me suis retrouvé un jour à devoir repenser Claska. C’est dans le cadre de cette opération que j’ai décidé de créer un magasin. A titre personnel, j’ai toujours été attiré par les choses venant de l’étranger. Même s’ils m’attiraient encore, je me suis dit qu’il serait intéressant de créer un magasin où l’on présenterait de façon différente des produits japonais. J’ai sans douté été influencé par l’état d’esprit qui régnait à l’époque.
D’après vous, ce retour en grâce de l’artisanat est-il une chance pour le Japon ?
Ô. T. : Je pense que ça peut être utile pour le pays, mais de là à parler d’une chance, c’est peut-être aller un peu vite en besogne. Cela dit, si le capitalisme global qui domine actuellement notre monde finit par disparaître, il se peut qu’on en vienne à un mode post-capitaliste au sein duquel le mingei trouvera toute sa place.
Pourriez-vous nous citer vos artisans préférés ?
Ô. T. : Ninjô Yoshikatsu, un maître laqueur. Ses produits sont simples mais d’une force incroyable. Funaki Kenji est un céramiste originaire de Fujina (voir carte ici). Tout en étant dans la tradition mingei, il a su s’en distinguer. Feu Narui Tsuneo. Ce potier de Mashiko (voir carte ici) produisait des ustensiles qui illustraient les liens avec son terroir.
Propos recueillis par Odaira Namihei