Je rêvais de me mettre au comptoir d’un café parisien et d’en devenir une de ses habituées. Faute d’en avoir connu au Japon, les comptoirs m’apparaissaient comme une scène de spectacle sur laquelle je n’osais pas monter. Il y a 10 ans à Paris, une de mes amies travaillait dans un bar. Je le fréquentais et m’installais discrètement à une table pour y faire mes devoirs de français. Un jour, la gérante m’a proposé d’y travailler. Je me suis dit que cela pourrait occuper mes vacances de Noël solitaires qui approchaient. Je me suis ainsi retrouvée du jour au lendemain derrière le comptoir avant d’en être moi-même une vraie habituée !
Le premier jour au bar, je ne comprenais aucune commande : « un allongé » Comment ça ?, « une noisette » Pardon ?, « un demi » demi de…? « 16 » quoi ? Le jour où l’on m’a dit : « J’ai la dalle, tu me mets un sky, encore un p’tit chouïa ! », j’ai compris : « chier la balle tue mes ânes, se taille encore un psych…?? ». Impossible de dialoguer avec les clients. Même mon dictionnaire d’argot ne m’a pas servi. Mais comme j’étais “une pauvre étudiante japonaise”, la gérante, mes collègues et les habitués m’ont alors beaucoup aidée, chacun à sa façon. Un jour, un SDF du coin m’a même laissé un pourboire. Ce petit boulot a finalement continué jusqu’à la fin de mes études à la fac. Malgré la fatigue physique, je ne l’ai pas lâché parce qu’il m’a permis de briser le mur entre ce pays et moi. C’est derrière ce zinc que j’ai pu découvrir un des visages de la société française. A la fin, j’ai compris que ces gens ne venaient pas uniquement pour se désaltérer. Ils étaient là aussi pour avoir un lieu où on les reconnaît et pour partager des moments en s’y retrouvant “par hasard”. Beaucoup disaient que ce bar était l’extension de leur salon. Un bon bar est en effet une maison pour tous, oserais-je dire. Aujourd’hui, alors que l’hiver arrive, je pense aux Noëls et aux réveillons passés dans cette “maison” où j’ai fini par danser sur le comptoir !
Bonne année à tous !
Koga Ritsuko