Lorsque les Japonais bafouillent, ils « se mordent la langue » (shita o kamu). Quelques révélations s’imposent.
Confondant, le japonais l’est parfois sans égard pour le jeune apprenant aussi fougueux que crédule. Phonétiquement pauvre, la langue japonaise compte un nombre d’homonymes pour le moins impressionnant. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de consulter le Kôjien (広辞苑 : dictionnaire de référence de la langue japonaise) et de s’arrêter à kikan (きかん). On décompte en effet pour ce terme pas moins de 24 entrées et autant de sens différents. Hormis la prononciation, il n’y a aucun point commun entre 期間 (période), 季刊 (publication trimestrielle) ou encore 帰還 (rapatriement). La seule façon de faire la distinction, c’est le recours aux kanji et au sens qu’ils véhiculent. A l’oral, les caractères chinois ne sont bien sûr d’aucune aide et c’est le contexte qui lève les doutes, mais il arrive toutefois qu’il faille parfois expliquer que par exemple le « kikan » dont on veut parler s’écrit avec le « ki » de 季節 (kisetsu / saison). C’est qu’il existe quand même environ 200 kanji à pouvoir se prononcer « ki », et que la culture des sous-entendus (et donc des malentendus) qu’entretiennent viscéralement les Japonais n’empêche qu’il faille parfois donner un petit coup de pouce au cerveau dans ce choix dont il n’a que l’embarras.
La pie niche haut. L’oie niche bas. Où l’hibou niche? L’hibou niche ni haut ni bas. L’hibou niche pas. Mais encore : Mur gâté, trou s’y fit, rat s’y mit, chat l’y vit, chat l’y prit. En français, cela s’appelle des trompe-oreilles. Des répliques dont le sens ne surgit qu’une fois que l’orthographe est connu, débarrassant l’oreille de tous quiproquos phonétiques malencontreux, malentendus, malvenus. Riche de ses réitérations phoniques, la langue japonaise n’est pas en reste avec ce qu’elle appelle les hayakuchi kotoba (早口言葉), ces « mots qui se disent vite ». Il en existe toute une flopée et sont, pour celui qui cherche à rendre plus limpide son parler nippon, un moyen amusant, sinon efficace, de travailler sa prononciation.
Exemples :
隣の客はよく柿食う客だ。
Tonari no kyaku wa yoku kaki kuu kyaku da.
Le client d’à côté est un client qui mange beaucoup de kakis.
庭には二羽鶏がいる。
Niwa ni wa ni wa niwatori ga iru.
Il y a deux poules dans le jardin.
Ces innombrables fourchelangues sont devenus au Japon un critère de qualité pour toutes les applications de reconnaissance vocale. Et pour ceux que l’exercice tente, une application leur est entièrement dédiée : Hayakuchi kotoba training (早口言葉トレーニング / 170 yens sur l’App Store japonais) avec une classification par niveau de difficulté. Un outil de plus dans l’exploration d’une langue qu’il convient de bien connaître pour éviter de se retrouver coincé au portillon.
Pierre Ferragut
Pratique :
Le mot du mois
驚く (odoroku) : être surpris, s’étonner
彼の話す早さに驚いた。
Kare no hanasu hayasa ni odoroita.
J’ai été surpris par la vitesse avec laquelle il parle.