Plutôt que de se rendre dans les grands centres historiques, Zoom Japon vous convie à découvrir des lieux moins connus.
Les amateurs d’histoire et de vieilles pierres sont parfois déçus par le Japon parce que les guides touristiques se concentrent la plupart du temps sur les temples et les sanctuaires qui ont passé les siècles malgré les catastrophes naturelles et les incendies ou sur les châteaux impressionnants par leur architecture, mais qui, pour la plupart, ne sont que des reconstructions récentes dans la mesure où ils ont été détruits à la fin du XIXème siècle lors de la phase de modernisation du pays ou lors des bombardements américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Voilà pourquoi Himeji et son château du XVIIème siècle classé Trésor national (voir Zoom Japon n°4, octobre 2010), Kyôto (voir Zoom Japon n°22, juillet-août 2012)ou encore Nara (voir Zoom Japon n°1, juin 2010) avec leurs innombrables temples inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco sont les principales destinations pour ceux qui souhaitent se replonger dans l’histoire ancienne du Japon. Ailleurs, les affres de la guerre ou la course à la croissance ont eu raison des quartiers anciens qui fleuraient bon ce Japon des films de samouraïs avec ces rues commerçantes et leur agitation quotidienne. C’est du moins ce que l’on peut croire si l’on ne cherche pas à sortir des sentiers battus. Il reste en effet, ça et là, des espaces qui ont échappé au tragique destin que l’histoire moderne et contemporaine a réservé à la plupart des zones urbaines bâties à l’époque d’Edo (1603-1868). Beaucoup de Japonais qui ont la nostalgie de cette période se rendent aux studios de la Tôei, Uzumasa Eigamura, situés à Kyôto pour se replonger dans cette atmosphère. Mais il s’agit de décors de cinéma, certes encore utilisés, mais l’illusion ne dure pas longtemps même si l’on peut admirer une réplique grandeur nature du fameux pont de Nihonbashi qui était au XVIIème siècle le point de départ de toutes les routes japonaises.
La visite de ces studios vaut néanmoins le détour dans la mesure où l’on peut assister en direct au tournage de certaines séries historiques. Mais pour avoir un contact plus réel avec l’architecture en vogue dans ce Japon des siècles passés, il suffit de prendre le train à Nara en direction du sud. A une vingtaine de kilomètres sur la ligne Kashihara exploitée par la compagnie Kintetsu (descendre à Yagi Nishiguchi) ou sur la ligne JR Sakurai (descendre à Unebi), se trouve le quartier d’Imai (Imaichô) qui regroupe quelque 600 demeures construites dans leur grande majorité au XVIIème siècle. La plus ancienne, la maison de la famille Imanishi, date de 1650. Imposante, elle est une très belle illustration de l’architecture de l’époque. Elle se situe à l’extrémité est du quartier à proximité de la maison de la famille Toyoda dont la construction remonte à 1662. Propriété d’un négociant en bois, elle est caractéristique de ces bâtisses qui servaient à la fois de maison d’habitation et de magasin. On peut la visiter et ainsi découvrir une architecture impressionnante et étonnante. Il y a d’abord la cour intérieure couverte où était installée la cuisine. En pénétrant dans la maison, le magasin (mise) est tout de suite sur la gauche. A l’époque, les affaires se traîtaient autour d’un bol de thé et les clients se déchaussaient pour venir discuter des prix et des quantités avec le patron. Ce dernier, qui devait être un excellent commerçant, s’était fait aménager une pièce dans laquelle il pouvait s’enfermer pour compter les recettes du jour et y dormir pour les protéger. Dotée d’une porte en bois à fermeture automatique (qui fonctionne encore), cette pièce étonnante sans fenêtre pour éviter les cambrioleurs était réservée au seul propriétaire des lieux. Même son épouse ne pouvait pas y pénétrer. D’autres maisons de ce type sont ouvertes au public. Elles sont en général grandes et illustrent la richesse de ce quartier qui est devenu le centre commercial de la région. La promenade dans les rues étroites d’Imaichô est des plus agréables. On remarque notamment qu’elles ne sont jamais très longues. Souvent coupées par d’autres ruelles, ces passages ont ainsi été conçus pour éviter au maximum les embuscades. L’intérêt de la promenade est aussi d’observer les toits avec leurs magnifiques ornements. Depuis quelques années, les autorités font de gros efforts pour redonner vie à ce quartier et lui permettre de retrouver son atmosphère originale. Ils ont ainsi enterré les fils électriques qui polluaient le paysage, rendant à Imaichô son cachet. Pour profiter pleinement de l’atmosphère tranquille de ce lieu, rien ne vaut d’y passer une nuit ou deux. Une association propose de louer au touriste une de ses fameuses maisons anciennes entièrement rénovée. Baptisée Imaian Raku, cette demeure offre tout le confort au cœur de ce magnifique quartier. Pour 10 000 yens la nuit (15 000 yens les deux nuits), le jeu en vaut la chandelle. Seul bémol, il n’existe pas pour l’instant de version en langue étrangère du site de présentation (http://web1.kcn.jp/imaisaisei-net/raku/). Néanmoins, grâce aux outils de traduction automatique disponibles sur la Toile, il est assez facile de comprendre les informations mises en ligne.
A Kurashiki, le visiteur étranger rencontrera moins de difficultés linguistiques. La ville, qui compte près d’un demi million d’âmes, est bien plus habituée à recevoir des hôtes venus des quatre coins du monde pour admirer notamment son quartier de Bikan. A 25 kilomètres d’Okayama, sur la ligne JR Sanyô, Kurashiki possède en effet un quartier historique qui a conservé sa beauté d’antan avec de belles bâtisses aux murs blancs. Traversé par un canal, il est la principale attraction de la ville qui a connu son âge d’or grâce au transport de marchandises qui transitaient par cette fameuse voie d’eau. Si l’avènement du train l’a privée d’une grande partie de ses revenus liés au commerce, la ville a néanmoins bénéficié du transport ferroviaire qui lui apporte tout au long de l’année des dizaines de milliers de touristes. On est loin de la tranquilité d’Imaichô, mais le quartier de Bikan ne manque pas de charme avec ses boutiques, ses restaurants et ses musées. Parmi eux, il faut absolument visiter le musée Ôhara dont l’étonnante façade néoclassique détone au milieu des demeures de l’époque d’Edo. Fondé par un richissime entrepreneur, cet établissement abrite une collection de chefs-d’œuvre occidentaux signés Picasso, Monet, Matisse ou encore Rodin. Pour ceux qui préfèrent se concentrer sur l’art japonais, le quartier de Bikan abrite le musée d’art populaire (mingei) de Kurashiki, l’un des plus riches de l’archipel en la matière. Il est surtout agréable de s’y promener le soir. Les bords du canal arborés s’illuminent alors et donnent à l’ensemble une atmosphère romantique à laquelle peu de personnes parviennent à résister. On croise ainsi des couples plus ou moins jeunes qui profitent de ces instants pour se retrouver. Les jeunes mariés viennent y faire des photos qui rempliront les premières pages de leur album. Dans les rues perpendiculaires ou parallèles au canal, les restaurants sont nombreux et proposent des menus variés qui satisferont toutes les bourses et toutes les envies. Pour l’hébergement, Kurashiki dispose de toutes les catégories d’hôtels. Néanmoins, si l’on veut profiter au maximum de l’ambiance qui règne dans le quartier de Bikan, une nuit dans l’auberge traditionnelle (ryokan) Yoshii s’impose. Les prix pratiqués ne sont pas ceux d’une auberge de jeunesse, mais le service et la qualité des prestations sont à la hauteur des 25 200 yens (dîner et petit-déjeuner compris) que coûte la chambre. L’établissement fréquenté en son temps par Sakamoto Ryôma, héros tragique des débuts de la modernisation du Japon à la fin du XIXème siècle, attire bien entendu les fans (et ils sont très nombreux) de ce personnage historique.
Moins connu dans l’archipel, le mangaka Taniguchi Jirô, qui bénéficie en revanche d’une belle cote de popularité en France, est lui-même amateur de l’époque d’Edo. Il a situé plusieurs de ses histoires dans des décors de cette période si importante de l’histoire du Japon. Peut-être doit-il son attachement à ces années au décor qu’il a côtoyé pendant son enfance à Kurayoshi dans la préfecture de Tottori. Il a d’ailleurs utilisé des vues des vieux quartiers de la ville pour illustrer Quartiers lointains (éd. Casterman), l’un de ses premiers grands succès. Pour s’y rendre, on peut emprunter le train (ligne Sanin) au départ de la gare de Himeji. Après une visite du magnifique château, un petit détour vers Kurayoshi vous offrira une belle plongée dans la province nippone. Bourgade de 50 000 habitants, elle a été un centre commercial important dans cette partie du Japon tout au long du XVIIème siècle. En témoignent les nombreux entrepôts de l’époque qui subsistent et qui donnent encore à la ville un caractère opulent qui a pourtant disparu depuis bien longtemps. La cité en est bien consciente puisqu’elle mise sur la nostalgie pour attirer les visiteurs. A l’instar de Quartiers lointains qui invite le lecteur à se plonger dans un passé plein de souvenirs de jeunesse, une promenade dans les petites rues de Kurayoshi plonge le visiteur dans une sorte de mélancolie douce. Il arrive que l’on croise des voyageurs avec le manga de Taniguchi comme guide. Ce qui frappe au-delà des beaux bâtiments blancs qui en imposent encore, c’est la présence de nombreuses boutiques qui invitent le client à faire un voyage dans le temps. Ici, il n’est pas question de revenir à l’époque d’Edo, mais plutôt d’explorer les années 1950-1960 pour lesquelles les Japonais vouent un véritable attachement. On y retrouve ainsi l’atmosphère qui règne dans l’œuvre de Taniguchi. C’est aussi un endroit avec de nombreux artisans qui vendent notamment leurs produits tissés.
La visite dans la préfecture de Tottori peut se prolonger par un arrêt à Yasugi, à une soixantaine de kilomètres de Kurayoshi. C’est dans cette petite cité, à 20 minutes par navette gratuite au départ de la gare, que se trouve le merveilleurx musée Adachi (voir Zoom Japon n°24, octobre 2012). Cet établissement est étonnant parce qu’il dispose non seulement de l’une des collections les plus riches en matière d’art moderne japonais et d’un extraordinaire jardin japonais que les responsables du musée présentent comme “une œuvre d’art vivante”. En fonction des saisons, de la couleur du ciel et de l’évolution des feuillages, il change de forme. De grandes baies vitrées offrent au visiteur médusé la chance de profiter d’un spectacle inoubliable.
D’Imaichô à Kurayoshi, il existe encore bien des zones historiques encore préservées qui donnent une petite idée de ce que devait être la vie entre le XVIIème et le XIXème siècle. Les autorités japonaises, après des années de désintérêt, ont commencé à y investir pour permettre à ces quartiers de conserver leur âme. A Imaichô, par exemple, ce n’est que très récemment que des arrêtés interdisent de reconstruire ou de rénover les maisons du quartier dans un style différent de celui des autres demeures. On a bien conscience que ce patrimoine historique constitue une chance non négligeable pour le développement du tourisme. Il y a une réelle volonté d’utiliser le regain d’intérêt à l’égard de cette période historique pour assurer l’avenir de villes qui ont perdu en grande partie leur superbe d’antan.
Gabriel Bernard