Je rêvais et je rêve toujours d’avoir une carte de résidente en France. Je ne sais pas exactement de quelle manière on mesure “l’’intégration en France”, mais à mon avis l’adaptation aux “ouvertures” françaises compte beaucoup. Ce mois-ci, je fais une demande administrative et souhaite joindre cette lettre de motivation :
Messieurs, aujourd’hui je me suis habituée à ouvrir moi-même la porte du taxi. En plus, je ne donne plus ma destination avant de monter dans la voiture. Messieurs, c’est comme ça que l’on ne me refuse plus de me prendre à 3h du matin bien que j’habite hors de Paris. Ne trouvez-vous pas que ça fait preuve d’une certaine maîtrise de la vie ? Puis bien sûr, je ne rêve plus d’ouverture des magasins le dimanche et pendant les vacances. Ensuite je ne cherche plus le bouton pour fermer l’ascenseur, et je confonds de moins en moins, à l’entrée des immeubles, le bouton pour ouvrir la porte et celui pour la lumière. Par ailleurs, je comprends que les contrôleurs du métro ne ferment jamais les yeux quand on n’a pas de ticket, mais que dois-je faire lorsque les guichets de la station sont fermés et nous indiquent d’utiliser les distributeurs de billets en panne ? Or Messieurs, je sais aujourd’hui ce que l’on l’appelle un “cas exceptionnel”, oui j’en ai beaucoup connus. Sinon, c’est vrai que je me sens encore “étrangère” quand je trouve que les produits emballés et marqués “ouverture facile” ne sont jamais faciles à ouvrir, surtout les paquets de jambon ou de saumon fumé. En revanche, Messieurs, je sais écrire une lettre aux fabricants en leur demandant d’y indiquer “Attention ! ouverture difficile !”. C’est une université française qui m’a appris comment on argumentait son opinion, autrement dit à ouvrir ma bouche quand je veux m’exprimer.
Dans l’attente de la délivrance d’une nouvelle vie de dix ans renouvelable, veuillez trouver Messieurs, ci-joint les photocopies des trente-six dossiers que vous m’avez demandés, avec mes cordiales salutations exceptionnelles.
Koga Ritsuko