Le 19 février dernier, le 7ème Art japonais a perdu l’un de ses plus grands défenseurs. Donald Richie s’est éteint à l’âge de 88 ans.
Sale temps pour le cinéma japonais et son « entourage ». Après les disparitions de Shindô Kaneto, Wakamatsu Kôji, et plus récemment de Ôshima Nagisa, la série noire continue. Donald Richie, écrivain, critique et cinéaste, a disparu le 19 février à l’âge de 88 ans. Le « passeur » historique du cinéma japonais à l’Ouest laisse un grand vide dans le monde des nippo-cinéphiles, dont il fut le mentor incontournable pour bien des critiques de par le monde, dont l’auteur de ces lignes, et d’autres spécialistes de la culture japonaise, comme Ian Buruma ou Mark Schilling.
Son parcours atypique témoigne d’une époque encore pionnière, où toute « découverte » ne passait pas seulement par Internet, mais pas une expérience réelle et physique, un véritable « bain de culture ». Né le 17 avril 1924 à Lima, dans l’Ohio, Donald Richie n’aurait sans doute jamais deviné qu’il allait devenir LE spécialiste mondial du cinéma nippon. L’armée américaine a décidé de sa vocation pour lui, lorsqu’il est arrivé au Japon en 1947, avec les troupes d’occupation. Il écrivait alors des chroniques, notamment cinématographiques, pour le Pacific Stars and Stripes. Cela a marqué le début de sa « love story » avec un pays qu’il connaissait à peine avant d’y débarquer. Il a eu la chance d’arriver à une époque où le Japon était à l’aube d’une renaissance fabuleuse de sa culture, et notamment de la littérature et du cinéma. Il est retourné aux Etats-Unis de1949 à 1953 avant de revenir dans l’archipel pour écrire ses chroniques pour le célèbre quotidien anglophone The Japan Times, et ce jusqu’à très récemment (2009).
Donald Richie a rédigé une quarantaine de livres (sans compter ses articles), mais, pour les nippo-cinéphiles, le plus important est celui qu’il a écrit avec le critique américain Joseph L.Anderson en 1959, The Japanese Film, Art and Industry (réédité et mis à jour plusieurs fois, notamment en 1983), et qui demeure la « bible » de toute une génération. Aucun autre ouvrage à l’époque n’a fourni autant d’informations et de perspective sur un cinéma dont on commençait à peine à découvrir la richesse. Donald Richie, qui a pu même assister au tournage de grands films comme Le Château de l’Araignée (Kumonosu-Jô, 1957), a publié des livres fondateurs sur les grands cinéastes de l’époque de Kurosawa Akira à Ozu Yasujirô. Il a plus tard continué à publier différents ouvrages sur le cinéma japonais, comme A hundred years of Japanese films (2001), tout en composant des livres sur ses voyages au Japon, dont le plus connu reste The Inland Sea (1971), plus tard transposé au cinéma (1991). Il est significatif que ses cendres aient été dispersées par ses amis dans cette même « Mer intérieure ». Ses « journaux » ont fait l’objet d’une publication spéciale sous le titre The Donald Richie reader, the Japan journals: 1947-2004. Il a aussi exploré les aspects cachés de la vie japonaise dans Tokyo Nights (2005). Il s’est aussi essayé à la réalisation cinématographique avec des films expérimentaux en pleine période de la Nouvelle Vague japonaise, comme War games (1962), Atami Blues (1962) Dead Youth (1967) ou Cybele (1968) dans lesquels il exprimait ses fantasmes homosexuels.
Il a continué d’habiter à Tôkyô (dans un petit appartement donnant sur l’étang aux lotus du parc d’Ueno, un de ses quartiers favoris), mais a exprimé sa désillusion sur le Japon moderne, trop industriel et urbanisé, en déclarant : » Lorsque je suis arrivé en 1949, le Japon était un des plus beaux pays du monde, et maintenant, c’est un des plus laids » ! En 1969 , il a été nommé conservateur du Museum of Modern Art de New York pour la section cinéma, jusqu’en 1972, mais a ensuite passé le plus clair de son temps au Japon. « Je suis étranger ici, et c’est pour cela que je reste. J’échappe à l’Amérique, sans être pour autant japonais », a-t-il un jour déclaré. Il nous a quittés à un moment où le cinéma japonais dans son ensemble n’est pas au meilleur de sa forme, et où même son identité est en question dans un Japon en récession… Mais, comme le rappelle Paul Schrader (un de ses nombreux disciples), “Quoi que nous (les Occidentaux) connaissions du cinéma japonais, nous le devons certainement à Donald Richie.” Oui, Donald, nous, les disciples,“We owe you” [nous te devons tout], et pour toujours.
Max Tessier
Références :
Le Cinéma japonais de Donald Richie, trad. de l’anglais par Romain Slocombe, Paris, Editions du Rocher, 2005.
Ozu de Donald Richie, trad. de l’anglais par Pierre Maillard, Genève, Ed. Lettre du Blanc, 1980.