Moriyama Tetsurô a fait l’expérience de la colocation pendant ses études. Il a décidé d’en faire son gagne pain. Et ça marche.
Quand a été créée votre entreprise ?
Moriyama Tetsurô : A la fin de mes études secondaires, je suis allé en Australie pour étudier l’anglais. J’ai vite compris que je pourrais progresser plus vite en discutant avec ma famille d’accueil et mes colocataires qu’en me rendant en classe. Je me suis aussi rendu compte que c’était un lieu idéal pour se faire de nouveaux amis et apprendre les coutumes d’autres pays. J’ai fini par vivre huit ans à l’étranger et à chaque fois, je m’installais dans des guesthouses ou des share houses, et prenais plaisir à partager avec d’autres le même toit. En revenant au Japon, j’ai pris conscience que la situation était complètement différente ici et que la colocation n’était guère populaire. La plupart des gens détestaient le manque d’intimité et pensaient que les colocations étaient sales. Pour résumer, son image était plutôt négative. J’ai donc décidé de promouvoir ce mode de logement afin de faire évoluer les mentalités. C’est pourquoi nous faisons très attention à ne proposer que des lieux répondant à certains standards de qualité.
Quand a été créée votre entreprise ?
M. T. : Nous avons lancé le site Internet il y a environ deux ans, durant l’été 2011. Au total, nous sommes cinq dont trois à plein temps. Nous présentons des maisons et servons d’intermédiaires avec les propriétaires. Nous disposons actuellement de 400 maisons sur notre site allant de la petite maison de 4 pièces au bâtiment avec 180 pièces. Ces bâtiments sont d’anciens dortoirs qui ont été entièrement rénovés et équipés pour répondre aux nouveaux besoins.
Quel est le profil des locataires types ?
M. T. : Ils sont âgés de 20 à 35 ans. 20 % d’entre eux sont des étrangers. 70 % d’entre eux sont des femmes. Comme la plupart d’entre elles préfèrent partager des maisons avec d’autres femmes, la plupart des maisons que nous gérons sont occupées par des femmes.
Quelle est la durée moyenne d’un séjour ?
M. T. : C’est assez variable et c’est donc assez difficile de généraliser. Néanmoins, j’ai remarqué que les gens commencent en général par un contrat à court terme (1 à 3 mois), mais ils finissent souvent par rester entre un et deux ans. Une autre tendance est représentée par des gens qui vivent dans un endroit pendant un certain temps avant de déménager dans une autre share house. Comme la plupart du temps, la caution demandée dans les share houses est modeste (elle est en général remboursée), c’est beaucoup plus facile de passer d’une colocation à une autre que de louer un appartement classique, surtout si les share houses appartiennent au même propriétaire ou à la même agence.
A votre avis, pourquoi les colocations sont devenues si populaires au Japon ?
M. T. : La principale raison est d’ordre économique. La location d’un appartement suppose de nombreux frais qui correspondent parfois jusqu’à 6 mois de loyer et qui doivent être payés d’avance. Cela représente bien sûr beaucoup d’argent et lorsque vous quittez l’appartement en question, vous ne récupérez qu’une toute petite partie de ces sommes. Cet aspect économique est devenu crucial au cours de ces deux décennies de crise.
Toutefois, on sent aussi une vraie évolution dans l’attitude des gens vis-à-vis de la société et des relations humaines. Dans la tranche d’âge des 20-40 ans, on se montre désormais plus curieux et prêt à explorer de nouveaux environnements et styles de vie. Il est clair qu’au Japon, il n’est pas évident de rencontrer des gens qui n’appartiennent pas au cercle de votre université ou de votre entreprise. La plupart du temps, ces milieux sont fermés aux personnes qui viennent de l’extérieur. Dans une colocation, c’est beaucoup plus facile de se faire des amis avec des personnes ayant un profil très différent.
Depuis quelque temps, il y a une tendance qui consiste à organiser des sorties en car avec des étudiants. Nous en profitons pour leur montrer différentes maisons pour qu’ils se fassent une idée par eux-mêmes de l’endroit et de l’atmosphère qui y règne.
Qui organise ces sorties ? C’est vous ?
M. T. : En tant qu’agence, nous n’organisons pas ce genre d’événements, mais certains propriétaires ou des entreprises qui gèrent des maisons le font. Nous publions l’information sur notre site Internet afin que les personnes intéressées s’inscrivent. Certaines sorties sont ouvertes à tous, d’autres ont quelques restrictions. Par exemple, il y en a qui ne sont réservées qu’aux femmes. Comme beaucoup de Japonais ne parlent pas très bien anglais, il nous arrive de ne faire la promotion d’une sortie qu’en japonais. Cela ne veut pas dire que les étrangers ne sont pas les bienvenus, cela signifie qu’ils doivent être en mesure de communiquer en japonais.
Lorsqu’on est étranger et que l’on vient s’installer au Japon, qu’est-ce qui joue en faveur des share houses ?
M. T. : Il y a les même avantages que j’ai rencontrés lorsque je vivais moi-même à l’étranger, en particulier une meilleure communication avec la population locale. Les Japonais se montrent souvent timides vis-à-vis des étrangers. Aussi lorsqu’on a la chance de pouvoir faire connaissance pendant un certain temps, c’est beaucoup plus facile de se faire des amis au Japon. Il n’est pas nécessaire de prendre un engagement de longue durée pour y parvenir, car la majorité des share houses sont ouvertes à tout le monde, y compris aux voyageurs qui ne veulent y séjourner qu’une semaine.
Propos recueillis par Gianni Simone