Il nous a quittés il y a 50 ans. En cette année qui marque aussi le 110ème anniversaire de sa naissance, redécouvrons son œuvre.
Les Japonais pensent toujours à Ozu comme le plus japonais de tous leurs cinéastes. Il n’est peut-être pas celui qu’ils préfèrent, mais il est celui qu’ils ont le plus récompensé. Ozu est un porte-parole, marqué du véritable “goût japonais”. Et parler ici de “goût japonais” est pertinent, car le Japon reste conscient au plus haut degré de sa propre identité”. Ces quelques mots du critique américain Donald Richie traduisent bien la place qu’occupe Ozu Yasujirô dans l’histoire du Japon et pas seulement dans celle de son cinéma. Si aujourd’hui bon nombre de jeunes Japonais n’ont aucune idée des films qu’il a réalisés tout au long de sa carrière, il n’en reste pas moins vrai que le travail du cinéaste constitue une base documentaire idéale pour comprendre l’évolution du Japon avant et après la Seconde Guerre mondiale. Donald Richie explique très bien pourquoi. “Le personnage d’Ozu est un des plus vraisemblables des personnages de cinéma. Ce personnage est sujet et n’est pas soumis à la pression extérieure d’une intrigue. Il existe en soi ; spectacle rare. Nous assistons au déroulement de son existence avec la jubilation que l’absolue vraisemblance suscite toujours, et avec la conscience aigüe de la beauté et de la fragilité d’un être humain”, écrit-il dans son admirable Ozu (éd. Lettre du blanc, 1980). A travers les multiples personnages qu’il a mis en scène, le réalisateur de Voyage à Tôkyô (Tôkyô monogatari, 1953), le plus célèbre de ses films, illustre la transformation de son pays, notamment au niveau des rapports familiaux. Il s’intéresse en particulier à l’éclatement de la famille qui se traduit de nos jours par un malaise social profond et un besoin de reconstituer des groupes auxquels s’identifier. Au Japon, l’identification à la famille (au clan, à la nation, à l’école ou à l’entreprise) est nécessaire à sa propre identification. Ozu illustre dans ses œuvres comment la famille disparaît progressivement. Mais les dégâts sont limités à la seule solitude de certains personnages, comme le père qui se retrouve seul au milieu d’une pièce après le mariage de sa fille ou le décès de sa femme, car à l’époque de ses films, l’école et l’entreprise prennent le relais, en permettant à l’individu d’exister. Depuis le début des années 1990, le système scolaire a volé en éclats et l’entreprise a perdu de sa superbe, marquant ainsi l’aboutissement d’un cycle qu’Ozu avait saisi et choisi d’analyser le plus simplement possible. C’est d’autant plus intéressant que le cinéaste est décédé en décembre 1963, quelques mois avant les Jeux olympiques de Tôkyô (octobre 1964) qui constituent un tournant puisque c’est le grand retour du Japon dans le concert des nations et le début de l’affirmation de sa puissance économique.
En 2013, plusieurs événements vont permettre de voir ou revoir ses œuvres
Avec une croissance à deux chiffres et l’enrichissement de l’ensemble de la société, les Japonais ouvrent un nouveau chapitre de leur histoire qu’Ozu a entrevu dans beaucoup de ses films. Il est donc particulièrement intéressant de les voir ou de les revoir. Au Japon, la Shôchiku a choisi de présenter, cette année, des versions restaurées de quatre de ses films en couleurs dont Le Goût du sake (Sanma no aji, 1962), qui a aussi été présenté au festival de Cannes dans le cadre de Cannes Classics 2013 et qui sortira en France le 3 juillet. D’autres événements à Ôsaka, à Tôkyô, à Kamakura où il a vécu, ou encore à Onomichi, point de départ de Voyage à Tôkyô (voir Zoom Japon, n°27, février 2013) sont programmés au cours des prochains mois. Une bonne occasion de se familiariser avec une œuvre on ne peut plus japonaise et de découvrir “cet art cinématographique dont le formalisme est comparable à celui de la poésie”. Bref dans le cinéma d’Ozu, on trouve cette sensibilité et cette humanité que l’on semble avoir oublié depuis des années dans nos sociétés obsédées par la richesse. Au moment où certains osent nous parler d’une économie de la décroissance, nous pourrions peut-être aussi oser nous replonger dans ces œuvres réalisées sans débauche de moyens, mais avec une réelle volonté d’amener le spectateur à mieux observer le monde qui l’entoure.
Odaira Namihei