Prendre son temps et donner à réfléchir. Telle est la mission que se sont fixés les fondateurs de Cow Books.
Nakameguro est le quartier préféré des gourmets tokyoïtes et des jeunes concernés par leur style vestimentaire. Mais pour les amateurs de nourritures spirituelles, il suffit de suivre la rivière Meguro, à quelques minutes de la gare, pour découvrir l’une des librairies les plus originales de la capitale : Cow Books. Le premier élément que l’on remarque en y pénétrant, c’est le bandeau lumineux – la “voix de la librairie” en quelque sorte – qui entoure les rayons et qui diffuse des messages en anglais sur le plaisir de la lecture. Une longue table au centre nous invite à nous asseoir avec un livre. S’il n’y avait pas la musique classique diffusée par les haut-parleurs, on pourrait se croire dans une bibliothèque remplie de livres étonnants.
En effet, Cow Books est un lieu spécialisé dans les ouvrages épuisés en japonais et en anglais, en particulier ceux qui concernent les mouvements sociaux, la politique et la littérature d’avant-garde des années 1960 et 1970. Certains d’entre eux sont difficiles à trouver, mais, pour son gérant Yoshida Shigeru, “un livre comme ceux-là vaut bien plus qu’un bien précieux”. On est aussi frappé par la présence massive des ouvrages de textes qui surpassent les recueils de photos ou les ouvrages consacrés au design. Parmi les trésors à portée de main, on trouve aussi des anciens numéros de magazines. Toutefois, ils ont un prix comme cette revue vendue 73 500 yens. Sans atteindre de telles extrêmités, la plupart des produits en vente dans cette librairie se négocient entre 20 000 et 30 000 yens. On ne trouve rien en dessous de 10 000 yens (71€).
Cow Books est née de la rencontre de deux esprits créatifs. Matsuura Yatarô, un ancien libraire de seconde main, et Kobayashi Setsumasa issu du monde de la mode, voulaient recréer un espace agréable de lecture comme ils les appréciaient. Matsuura est connu pour avoir abandonné très tôt le lycée pour se rendre aux Etats-Unis où, incapable de parler l’anglais, il a passé de longs moments dans les librairies pour l’apprendre. On comprend aussi pourquoi Cow Books est un paradis pour les amoureux des livres. “Nous pouvons utiliser nos ordinateurs ou nos téléphones portables au quotidien, mais je reste persuadé que les livres constituent les meilleurs moyens pour apprendre”, affirme le gérant Yoshida Shigeru. “Ce sont des objets très pratiques et utiles. En plus, ils sont beaux”.
“Ils sont d’excellents porteurs de message. C’est la raison pour laquelle notre slogan est “vendre le message”. Nous souhaitons transmettre un message au travers des livres que nous vendons. Nous souhaitons faire de notre librairie un lieu de rencontre entre les gens et les livres et faire en sorte que de cette rencontre naisse une nouvelle culture. Voilà pourquoi nous ne proposons que des livres que nous avons aimés. Nous pensons qu’ils sont spéciaux et nous souhaitons partager nos découvertes avec les autres”, ajoute-t-il. Le nom de la librairie a d’ailleurs été choisi pour coller à la philosophie défendue par ses deux fondateurs Matsuura et Kobayashi. Comme une vache (cow), il s’agit de faire les choses à son rythme, de regarder autour de soi tout en avançant lentement mais sûrement vers son propre objectif.
Le magasin propose également quelques objets comme des serre-livres spécialement créés ou les chemises que porte le personnel, mais ce qui donne envie aux gens de revenir, ce sont les quelques 2 000 titres à leur disposition dans ce lieu unique en son genre.
Jean Derome
Son ouvrage le plus marquant
« Comme nous avons choisi chacun des ouvrages vendus dans cette librairie, nous les aimons tous et il est vraiment difficile d’en choisir qu’un seul. Nous avions par le passé l’édition anglaise éditée en 1970 de Grapefruits : A Book of Instructions and Drawing by Yoko Ono. A la différence de l’édition américaine dont la couverture était jaune vif, celle-ci était plus simple et plus élégante avec son graphisme en noir et blanc. C’est l’un des exemples les plus représentatifs de l’œuvre de cette artiste et il illustre parfaitement son sens de l’esthétique. Il s’agit d’un ouvrage d’art conceptuel à la fois drôle, provocant et pénétrant qui pousse le langage au bout de ses limites. Yoko Ono demandait d’ailleurs aux lecteurs de brûler le livre une fois la lecture terminée. Je pense qu’il ne faut pas la suivre sur ce point et conserver ce livre comme un trésor. »