Beaucoup moins connue que Naoshima, la petite île de la mer Intérieure réserve de bien belles surprises.
Depuis plusieurs années, les amateurs d’art contemporain qui se rendent au Japon font un crochet quand ils le peuvent à Naoshima. Cette île de la mer Intérieure est devenue le symbole de la capacité à transformer un lieu industriel en perdition en un centre artistique de premier plan grâce à la collaboration de grands architectes et artistes réunis par le groupe Benesse. Depuis 20 ans, Naoshima est sortie de l’anonymat et s’est transformée en un espace à haute valeur artistique. Les constructions de Andô Tadao dont l’étonnant musée Chichû (Chichû bijutsukan) ont contribué à mettre en gras le nom de Naoshima sur les cartes de la région et dans les guides touristiques. La création du festival international d’art, Setouchi Triennale, en 2010 lui a donné une nouvelle dimension à travers le monde.
A tel point que les visiteurs étrangers se pressent pour aller découvrir les œuvres de Kusama Yayoi ou le sanctuaire revisité par Sugimoto Hiroshi. Les Français ne sont pas les derniers à s’y précipiter puisqu’ils représentent la seconde population de touristes étrangers dans cette partie du Japon. De quoi ravir les autorités locales de Shikoku dont dépend l’île même si elles regrettent que le succès de Naoshima ne soit pas assez associé à leur région. C’est la raison pour laquelle ils s’efforcent de corriger cette réalité, en rappelant que Shikoku ne se résume pas qu’à Naoshima. En effet, d’autres îles moins connues que Naoshima ont bénéficié ces dernières années de la bienveillance du groupe Benesse, dont l’un des credo est “d’utiliser ce qui existe pour créer ce qui sera”, a ainsi pris pied sur l’île de Teshima en 2010 pour poursuivre sa mission visant à trasnformer un lieu sur le déclin – la population étant passée de 2 700 âmes à à peine 1 000 – en un pôle dynamique capable de ramener la vie.
Au terme de trois années de présence, on peut dire, sans exagérer, que la petite île située entre Naoshima et Shôdoshima a repris des couleurs. Des couleurs vives même comme celles que le graphiste Yokoo Tadanori a utilisées dans la maison qui lui a été confiée et qui a été ouverte en juillet 2013. Implantée à deux pas du port d’Ieura, la Teshima Yokoo House est un petit bijou, fruit de la collaboration entre le plasticien et l’architecte Nagayama Yûko.
Cette dernière a rénové une ancienne demeure construite face au port, en respectant la disposition originale des bâtiments mais en y ajoutant des éléments comme cette tour cylindrique dans laquelle l’artiste invite le visiteur à se perdre au milieu de centaines d’images de cascades.
Une sensation de vide sidéral saisit la personne qui se retrouve dans ce petit espace sans fin rendu possible par un subtil jeu de miroirs. Dans d’autres lieux de la maison, c’est au contraire l’impression de confinement qui domine. Le petit grenier plongé dans la pénombre où une toile dominée par le violet figure un œuf prêt à exploser devant des individus effrayés en est une belle illustration. Ailleurs dans la maison, le jeu de la lumière apporte d’autres sensations par rapport à l’espace. Le rouge domine dans d’autres parties de la maison. De loin, cela peut donner la sensation d’un univers apocalyptique, mais il n’en est rien. Yokoo Tadanori montre que l’art est salvateur. Ses toiles multicolores éclatent au grand jour grâce à l’étonnant usage qu’il fait de la lumière non filtrée. Lorsqu’on pénètre dans la maison principale et que l’on atteint la plus grande pièce qui abrite trois magnifiques toiles de l’artiste, l’architecte fait passer le visiteur sur un plancher de verre sous lequel coule un petit ruisseau. Et si l’on veut observer attentivement ces œuvres à la fois graves et humoristiques, caractéristiques du style du graphiste, il faut rester sur ce sol transparent qui procure la sensation de flottement dans l’univers. Que dire du jardin dont les rochers ont également été peints. Le rouge domine encore au milieu d’un sol plus clair. A chaque instant, on a l’impression que l’environnement change. La lumière, les nuages, le ciel, le vent contribuent à leur manière à nous rappeler que sur une île tout change rapidement et que nous sommes dans un perpétuel recommencement.
Telle est la philosophie qui se cache derrière le Teshima Art Museum, le premier projet artistique conçu à Teshima en octobre 2010. Là encore, il s’agit du fruit de la collaboration entre un architecte Nishizawa Ryûe et une artiste Naitô Rei. Implanté au sommet de la colline de Karato qui surplombe la mer Intérieure, le projet incarne justement le désir de donner aux éléments un rôle crucial dans la création artistique. Pour l’atteindre, le visiteur est invité à emprunter un chemin bétonné dont le parcours permet de prendre conscience du lieu où l’on se trouve. Le vent est bien présent de même que l’eau avec cet horizon dominé par la mer. Après avoir suivi plusieurs virages, on se retrouve face à cette étonnante construction de béton lissé qui rappelle la goutte d’eau lorsqu’elle entre en contact avec la surface. Ne serait-ce que d’un point de vue technique, le bâtiment impressionne. Parfaitement intégré dans le paysage, il intrigue. Pour y pénétrer, il faut enfiler des chaussons. De quoi susciter encore plus la curiosité. Pourtant lorsqu’on pénètre dans cet espace vide dominé par deux grandes ouvertures par lesquelles les éléments s’en donnent à cœur joie, on ressent une petite déception. Mais très vite, elle disparaît et laisse place à l’émerveillement. De miniscules perles d’eau apparaissent sur le sol de cette immense bulle avant de se déplacer et de créer sur le sol des formes changeantes en fonction du vent et de la lumière. D’un seul coup, le visiteur prend conscience d’être au milieu d’une œuvre d’art vivante qui se transforme devant ses yeux. C’est une sensation tout à fait étonnante et envoûtante. On passerait des heures à regarder ces perles d’eau se rejoindre pour former des taches plus grandes capables de bousculer l’ordre en place. C’est à Teshima et nulle part ailleurs que l’on peut vivre ces expériences. Alors la prochaine fois, oubliez Naoshima et prenez le cap de Teshima.
Odaira Namihei
Infos Pratiques pour s’y rendre :
Au départ de Takamatsu, il y a quatre départs par jour les lundis, mercredis et jeudis (7h41, 9h02, 10h45 et 18h05). Il y en a cinq du vendredi au dimanche et les jours fériés (7h41, 9h07, 10h45, 16h31 et 18h05). La traversée dure 35 mn et coûte 1 300 yens.
Au départ d’Uno, port situé au sud d’Okayama, il y a huit départs par jour (5h25, 6h45, 8h35, 11h10, 13h40, 15h25, 17h30 et 19h25). 40 mn de traversée pour 750 yens.
Horaires : Les installations sont ouvertes de 10h à 17h de mars à octobre et de 10h30 à 16h le reste de l’année. Fermé le mardi.