Depuis octobre dernier, il est possible de découvrir l’île de Kyûshû à bord d’un train d’exception signé Mitooka Eiji.
A u cours de la dernière décennie, l’île de Kyûshû est devenue une sorte de paradis pour les amateurs de trains au Japon. C’est dans cette région que les trains spéciaux ont pris leur essor. Le principal architecte de ce phénomène s’appelle Mitooka Eiji. Ce designer de 66 ans a obtenu de nombreuses récompenses pour son travail avec JR Kyûshû, parmi lesquelles les prestigieux prix Brunel et Blue Ribbon décernés aux meilleures réalisations ferroviaires.
“JR Kyûshû a réussi à créer des trains d’excursion qui mettent en valeur la beauté naturelle de l’île tout en permettant à certaines lignes menacées de fermeture de continuer à exister”, confie-t-il.
La plupart de ces trains ont été conçus par Mitooka Eiji, mais il ne manque pas une occasion de tresser des lauriers au président de la compagnie. “Mon travail consiste à faire des trains, mais le véritable moteur de ce changement est Karaike Kôji”, rappelle-t-il. “Il pense que le design est un des ingrédients du succès et grâce à son soutien, nous avons pu travailler en toute sérénité”.
Le joyau de sa collaboration avec JR Kyûshû est le Nanatsuboshi – Seven stars in Kyûshû, un “train croisière” tellement luxueux qu’on le compare volontiers à un hôtel sept étoiles. “Son nom s’inspire des sept étoiles de la petite Ourse”, explique-t-il. “Traditionnellement, ces étoiles aidaient les marins à traverser les océans. Notre train aide les gens à découvrir une nouvelle façon de vivre. Sept, c’est aussi le nombre de préfectures à Kyûshû et aussi le nombre des points forts de l’île : la nature, les sources thermales, l’histoire et la culture, les sites religieux, la cuisine, l’accueil et bien sûr les trains”, ajoute-t-il en riant.
Lorsqu’on aborde le nom des trains, cela permet encore à Mitooka d’évoquer le rôle de Karaike dans le développement de chaque projet. “Avant de commencer à concevoir un nouveau projet, M. Karaike veut déterminer son nom. En général, c’est quelque chose à laquelle on pense à la fin, mais pour lui, le choix du nom est très important. Une fois que vous l’avez trouvé, vous pouvez commencer à construire une histoire et c’est à partir de là que je conçois l’ensemble du train. Je dessine les wagons, j’imagine le logo, je choisis les couleurs et les matériaux et je décide des services qui seront proposés aux passagers.” Mitooka Eiji reconnaît qu’il trouvait au départ le nom de Nanatsuboshi – Seven stars in Kyûshû un peu trop long pour un train. “Mais M. Karaike voulait montrer au reste du Japon et du monde le charme de Kyûshû. C’est pour cette raison qu’il voulait que le nom de l’île apparaisse”, rappelle-t-il.
Concernant l’aspect du train proprement dit, il reconnaît aussi qu’il n’avait pas forcément la même approche que le PDG de JR Kyûshû. “Il existait déjà un certain nombre de trains de luxe à commencer par l’Orient Express. Ils sont par ailleurs plus coûteux et plus longs à réaliser. Aussi ma première intention était de créer un train de style moderne. D’autant plus qu’en tant que designer, vous avez tendance à vouloir créer quelque chose de complètement nouveau, que personne n’a jamais vu. Mais Karaike Kôji a insisté pour que le style soit plus classique. ‘C’est la meilleure façon de montrer la qualité d’un train. Les gens sont en effet impressionnés par ces détails qui soulignent le luxe du train. En définitive, nous avons créé la version japonaise de l’Orient Express”, raconte-t-il.
Quand on évoque le luxe, Mitooka explique pourquoi le train contient tant d’éléments précieux. “Les usagers ordinaires passent en général moins d’une heure à l’intérieur d’un train. Et même lorsque vous entreprenez de voyager en train, vous n’y passez que quelques heures. Un voyage à bord du Nanatsuboshi peut durer jusqu’à 4 jours. C’est un voyage qui coûte cher, ce qui signifie que nos clients sont très exigeants. Nous ne pouvons pas nous permettre de les décevoir. Vous pouvez donc être sûrs qu’ils vont faire attention au moindre détail de la pomme de douche au simple tiroir, à chercher le petit défaut. (rires) Ils veulent juste être sûrs que leur argent a bien été dépensé.”
Dans ses réalisations, Mitooka fait attention à faire appel à l’artisanat local et aux matérieux produits sur place. Ainsi pour le shinkansen Tsubame série 800, il a eu recours à du bois de cerisier des montagnes pour les stores et le cadre des fenêtres, et du camphrier pour les cloisons. C’est un choix inhabituel dans la mesure où les compagnies de chemin de fer ont cessé d’utiliser du bois dans leurs wagons depuis l’incendie qui avait coûté la vie, en 1972, à 30 personnes. Mais Mitooka n’a pas pu résister à la tentation. “Nous avons utilisé une large gamme de produits ignifuges. Les passagers n’ont donc pas à s’inquiéter”, explique-t-il. “En matière de trains, je suis un vrai débutant, ce qui constitue, à mon avis, un atout. De cette façon, je suis capable de penser librement et de venir avec de nouvelles idées. Mon objectif, c’est que les gens sourient et soient heureux. Je suis un peu comme Disney. Je m’inspire de ses idées.”
Le train en soi n’est pas suffisant pour satisfaire les besoins et les attentes des passagers. C’est là que le service entre en scène. “Mon boulot en tant que designer consiste à créer une scène sur laquelle les gens vont jouer. Une fois qu’elle est mise en place, elle ne va pas changer de sitôt. Si la scène a bien été conçue, le personnel y travaillera correctement. C’est extrêmement important car peu importe ce que j’ai réalisé si le personnel ne joue pas bien sa partition. C’est seulement au travers de la combinaison réussie d’une belle conception et d’un excellent service que les passagers qui sont les protagonistes de l’histoire rempliront bien leur rôle. Par exemple, deux autres trains que j’ai réalisés, le Yufuin no mori et le train à vapeur Hitoyoshi, disposent d’un buffet. Les passagers peuvent boire un verre tout en discutant avec le personnel. C’est quelque chose dont ils se souviendront après être descendus du train”, affirme-t-il.
Un voyage à bord de la suite deluxe du Nanatsuboshi coûte plus d’un million de yens pour un couple. Certains peuvent se demander pourquoi un train si onéreux connaît un tel succès dans un pays qui sort à peine de la récession. “La plupart de nos clients ont entre 50 et 70 ans. Jusqu’à présent, un voyage d’exception ne pouvait que se dérouler à l’étranger. Désormais ils peuvent réaliser leur rêve au Japon. Après avoir discuté avec quelques individus appartenant à cette classe d’âge - la seule à pouvoir se payer ce genre de vacances - je me suis rendu compte qu’ils attendaient ce genre de train au Japon. Avant, ils devaient faire de longs voyages en avion, subir des décalages horaires pour visiter des lieux dont ils ne connaissent pas la langue. Mais en y réfléchissant, vous pouvez très bien passer de très bonnes vacances dans votre propre pays. Le Nanatsuboshi est l’aboutissement de toute cette réflexion. Au début, nous avions bien sûr quelques doutes, mais les résultats nous ont montré que nous avions vu juste. Aujourd’hui avoir une place dans le Nanatsuboshi est une véritable gageure”, confie-t-il avec satisfaction.
Selon son concepteur, le Nanatsuboshi n’est pas aussi cher. “Il ne l’est pas si vous raisonnez en termes de qualité. D’après mes calculs, JR Kyûshû ne gagne pas beaucoup d’argent avec ce train. (rires) La compagnie le considère davantage comme un symbole et une source de fierté. C’est une façon de montrer au reste du monde ce que JR Kyûshû est capable de réaliser. Pour ma part, il s’agissait de créer quelque chose qui plaise au plus grand nombre. Si nous utilisons un espace public de façon qualitative, il est possible d’offrir la possibilité aux gens d’apprécier un produit de haut niveau en accord avec la nature. L’esthétique et l’éthique vont de pair. En tant qu’adultes, nous avons la responsabilité de créer des choses merveilleuses pour nos enfants. Ils ont le droit d’en profiter. C’est seulement comme cela que nous créerons un monde meilleur.”
Jean Derome