Principal hub ferroviaire du pays, la gare de Tôkyô est également une ville dans la ville. Petite visite guidée.
Le 20 décembre, la gare de Tôkyô fêtera ses 100 ans. C’est une longue histoire qui l’a faite passer du statut de simple gare avec quatre quais à celui de principal hub ferroviaire du pays puis à celui de “station city”, un lieu où l’on trouve un hôtel, un musée et assez de restaurants et de magasins pour combler le plus accro des gourmets ou de dépensiers pendant une année. En 2003, le bâtiment a été enregistré comme Bien culturel important du Japon avant que, cinq années plus tard, un service de presse soit créé pour promouvoir l’image de ce lieu et attirer les visiteurs même s’ils n’ont pas de train à prendre.
En 1889, trente ans après avoir été conduite à mettre un terme à son isolement volontaire, la ville de Tôkyô a décidé de créer une ligne de chemin de fer entre les gares de Shinbashi et d’Ueno. Les projets de construire une gare sur cette nouvelle ligne date de 1896. Mais les deux guerres coûteuses contre la Chine et contre la Russie ont retardé le projet jusqu’en 1914. Dessiné par l’architecte Tatsuno Kingo, le bâtiment de trois étages est inspiré, dit-on, de la gare centrale d’Amsterdam même si Tatsuno était davantage influencé par le style victorien après avoir passé quatre années à étudier l’architecture à Londres à la fin du XIXe siècle. A l’origine, cette copie supposée portait le nom de “gare centrale” avant d’être rebaptisée “Tôkyô” au moment de son inauguration. Aussi, lorsque vous êtes à Yokohama et que vous empruntez un train de la ligne Tôyoko, si vous demandez à un employé si le train va à Tôkyô, il vous répondra : “Non, il va à Shibuya”, ce qui pourra provoquer une certaine confusion. Shibuya est bien un quartier de la capitale, mais si vous évoquez le nom de Tôkyô dans l’enceinte d’une gare, immanquablement on suppose que vous parlez de la gare de Tôkyô.
On dit souvent que la ville de Tôkyô incarne le mélange parfois schizophrénique de tradition et de modernité. Le bâtiment de la gare en est la plus parlante des illustrations. Le côté ouest de Marunouchi fait face au palais impérial et au quartier historique des affaires tandis que le côté est de Yaesu, ouvert en 1929, est plus influencé par le quartier commercial plus proche de Nihonbashi. Au fil du temps, la gare de Tôkyô a été témoin ou directement affectée par des événements parfois tragiques qui ont marqué l’histoire contemporaine du pays. En 1921, par exemple, le Premier ministre Hara Takashi y a été assassiné tandis qu’un autre chef du gouvernement Hamaguchi Osachi a survécu à une tentative de meurtre en 1930. Si le bâtiment renforcé d’acier a réussi à sortir indemne du terrible séisme du 1er septembre 1923 qui a détruit Tôkyô et sa région, il a été très endommagé par les bombardements américains du 25 mai 1945. En 1949, c’est la façade Yaesu qui a été en partie détruite par un incendie.
En 2012, après cinq années de travaux de rénovation, le bâtiment de briques rouges du côté Marunouchi a retrouvé son état originel. Le troisième étage a réapparu, notamment les deux magnifiques dômes qui avaient été remplacés après la guerre par des plaques d’acier. Le toit en tuiles noires a également été réhabilité après avoir cédé sa place à des plaques d’acier. Les ardoises des dômes et de la partie centrale du bâtiment ont été installées selon une méthode traditionnelle japonaise. Le côté européen classique peut être aussi apprécié à l’intérieur des dômes eux-mêmes où l’on trouve également une touche orientale avec les reliefs qui représentent huit des douze signes du zodiaque chinois.
Pour plus de sécurité, les 11 000 blocs de pin installés en 1923 ont été remplacés par un système antisismique ultra moderne comprenant 352 isolateurs sismiques et 158 amortisseurs, ce qui peut permettre au bâtiment de résister à un séisme de niveau 7 sur l’échelle japonaise, l’un des plus élevés. Les travaux ont coûté au total 50 milliards de yens, une somme exorbitante que JR East a pu régler en vendant de l’espace pour les immeubles environnants.
Vous souvenez-vous du film The Terminal de Steven Spielberg dans lequel un homme est obligé de vivre à l’intérieur de l’aéroport JFK à New York parce qu’on lui a interdit d’entrer sur le sol américain et qu’il ne peut pas rentrer dans son pays à cause d’une révolution ? Imaginez-vous que n’importe qui pourrait faire la même chose dans la gare de Tôkyô et pour une durée indéterminée. Tôkyô Station City dispose de tout ce dont vous pouvez avoir besoin pour mener une existence confortable.
Il y a d’abord le Tokyo Station Hotel. Inauguré en 1915, cet hôtel est presque aussi vieux que la gare elle-même. Il dispose de magnifiques suites et de belles chambres décorées dans un style européen classique. Après le grand séisme de 1923, l’hôtel est devenu le lieu de vie de nombreuses personnes affectées par la catastrophe naturelle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand les affaires ont repris leurs cours à peu près normal, le lieu était considéré comme un café à la mode avant de retrouver son rôle initial. Aujourd’hui, les suites sont équipées de lustres en verre taillé, de miroirs émaillés et de tables basses en verre. Les amateurs de train sont avisés de demander une chambre au deuxième étage dans le dôme pour pouvoir profiter d’une vue imprenable sur l’une des entrées les plus fréquentées de la gare. Ils ne seront sans doute pas gênés par le bruit de fond de ce va-et-vient permanent.
La galerie de la gare de Tôkyô a été créée en 1988 dans le but “d’offrir aux usagers non seulement un lieu de transit mais aussi un accès haut en couleurs à la culture”. Ses salles d’exposition sont l’un des rares endroits où vous pouvez admirer de près voire toucher les murs de briques rouges. Jusqu’à sa fermeture temporaire en 2006, la galerie avait organisé 105 événements et plus de 2,3 millions de personnes avaient pu profiter d’expositions variées de peintures, sculptures et autres formes d’expression artistique.
Vous pouvez ensuite tenter d’explorer la partie Ekinaka. Ce terme signifie “à l’intérieur de la gare”. Si vous ne faites pas très attention, vous pouvez vous perdre et passer le reste de votre vie à errer dans l’inextricable labyrinthe de couloirs qui compose cet ensemble. Ce complexe est relié par un système de passages souterrains à la plupart des bâtiments et des centres commerciaux qui entourent la gare. Une cinquantaine de magasins très célèbres dans tout le pays vendent toutes sortes de nourriture et de souvenirs. Ils tentent de s’imposer face aux boutiques qui commercialisent des produits aux couleurs de la gare comme le “pain brique” dont la forme rappelle les briques de la façade Marunouchi ou les cookies de la gare de Tôkyô qui ont la forme de trains.
Trois des endroits les plus populaires de la gare sont cachés au cœur d’Ichiban-chô dans les sous-sols de la gare. Il s’agit de la “rue des mascottes” ou plus d’une vingtaine de boutiques propose des produits dérivés de séries d’animation, de personnages d’anime ou de cinéma. C’est un endroit pour les fans de culture pop. Si vous voulez des produits un peu plus adultes, rendez-vous plutôt à Akihabara ou Nakano.
Juste à côté se trouve Tôkyô Okashi Land, le royaume des sucreries où les grandes marques - Morinaga, Clabee ou Glico - proposent leurs produits. Enfin il y a la fameuse rue des râmen où les amateurs de nouilles en bouillon trouveront de quoi se régaler.
La façade est de la gare, c’est-à-dire le côté Yaesu, représente l’avenir du Japon. L’ensemble de la zone a été conçue comme un centre d’affaires global avec des immeubles de bureaux hauts de gamme et des grands magasins qui offrent les produits et les services les plus en pointe de la capitale. Sa principale attraction est le GranRoof, une sorte de passerelle géante qui relie deux ailes pour former une vaste zone piétonnière en haut et en bas. Avant de prendre un de ces trains extraordinaires que seuls les Japonais sont en mesure de proposer aujourd’hui, la gare de Tôkyô est bien le lieu qu’il faut aller découvrir sans trop tarder.
Jean Derome