C’est en septembre 2013 que la jeune citadine a décidé de quitter la capitale pour retourner dans sa ville natale.
Cette jeune femme de 29 ans a renoncé à la vie tokyoïte pour rejoindre sa ville natale, Ishinomaki, dans le nord-est du Japon. Elle défend un besoin de retour à la terre que semblent souhaiter de plus en plus de jeunes Japonais aujourd’hui. Et l’envie de participer à l’histoire de la reconstruction du Tôhoku.
Fine et élancée, Ishikawa Yûmi est ce genre de jeune femme qui inspire grâce et délicatesse. Ce matin-là, elle a enfilé de bonne heure, une grossière chemise à carreaux, des gants, un vieux survêtement et des bottes en caoutchouc. Sa tenue ne change rien à sa beauté naturelle. Sans manières et ainsi vêtue, elle quitte sa ferme, prend la route jusqu’au champ de riz familial.
Le mois de mai est le moment idéal pour planter le riz d’Ishinomaki dont la renommée couvre tout l’archipel. Elle sort de la voiture et entre dans le champ boueux, où son père a déjà pris place. Elle retire ses gants pour mieux parvenir à planter le riz. “Autrefois, nous faisions tout à la main”, s’exclame-t-elle, alors que son père démarre la machine qui va permettre d’accélérer la cadence et planter davantage de riz en moins de temps.
Cette année, la ferme Ishikawa ne plantera que trois champs de riz sur les 80 qu’elle possède. “Le gouvernement nous indique la quantité annuelle de riz que nous devons produire. Cette année, nous n’en cultivons que trois et sur les autres champs nous faisons des haricots et du blé. Cela dépend des besoins.” La décision est généralement communiquée aux agriculteurs locaux courant décembre.
C’est une nouvelle vie que découvre cette ancienne salariée d’une société de confiseries tokyoïte. En agriculture, il y a encore peu de temps, elle n’y connaissait rien du tout. C’est en septembre 2013 qu’Ishikawa Yumi a quitté la capitale nipponne pour revenir s’installer dans la ferme familiale à Ishinomaki dans le Tôhoku. Un retour aux sources qu’elle souhaitait plus que tout. “Aujourd’hui, je suis encore en phase d’apprentissage auprès de mes parents mais un jour, je serai seule aux manettes. Je dois profiter de leurs conseils autant que possible.”
C’est au lendemain du tremblement de terre de mars 2011 qu’Ishikawa Yumi a choisi de revenir vivre dans ce port de pêche qui l’a vu grandir. Pour apporter sa pierre à l’édifice de la reconstruction, informer sur le Tôhoku, mais aussi “soigner la ferme familiale qui depuis toujours nous permet, à moi et mes quatre sœurs qui vivent près de la capitale, de partager du temps ensemble.”
Sa ville natale a été durement touchée par le tsunami de 2011. 3 256 morts ont été recensés dans cette seule ville de la préfecture de Miyagi et plus de 500 personnes ont été portées disparues. Le port a été entièrement ravagé et 70 % des habitations ont été détruites ou partiellement endommagées. Aujourd’hui, trois ans après le séisme, la plupart des entreprises locales ne dépassent pas les 70 % de leur activité initiale.
Comme la majeure partie du Tôhoku, la ville côtière d’Ishinomaki doit faire face au vieillissement de sa population qui s’est durci depuis le début des années 2000. La fuite des jeunes s’est largement amplifiée depuis le tremblement de terre. Selon Arakawa Motokazu, rédacteur en chef de Rolling Press Magazine, une publication locale : “20 000 jeunes ont quitté Ishinomaki depuis mars 2011. Les facteurs sont multiples : depuis le désastre, l’économie de la région se porte extrêmement mal. Les entreprises ont du mal à repartir : le taux de chômage est écrasant. Sans oublier la peur des radiations dont on ne connaît pas encore les conséquences. Pour les vieux comme moi, ce n’est pas trop grave de rester quoiqu’il arrive mais pour les jeunes…”
Le choix d’Ishikawa Yumi va à contre-courant de cette tendance. “Je connais beaucoup de personnes de mon âge ici. Nous avons envie de revenir à de vraies valeurs. J’espère avoir l’occasion de présenter mon activité à des personnes qui vivent dans les grandes villes pour leur donner aussi l’envie de préserver la campagne et pourquoi pas de venir y vivre.” De plus en plus de jeunes Japonais expriment l’envie de revenir à des valeurs plus authentiques et à des savoir-faire ancestraux. Des entreprises en font d’ailleurs leur beurre et proposent aux Tokyoïtes en mal de verdure des week-ends à thèmes où ces derniers sont initiés aux plaisirs de l’agriculture, le temps d’une escapade. Une formule qui rencontre un beau succès.
Si le Grand tremblement de terre a accéléré la décision de la jeune femme, Yumi réfléchissait déjà à quitter Tôkyô depuis un certain temps. “Je ne supportais plus. Le stress, la pression quotidienne. Les événements n’ont fait que précipiter une décision d’ores et déjà mûrement réfléchie.”
Dans la ferme Ishikawa, les cinq filles, soit Yumi et ses quatre sœurs se retrouvent autour de la table familiale avec maris et enfants lors de la Golden week en mai et pour Obon à la mi août. Les parents et la grand-mère, âgée de 94 ans, aiment avoir cette visite. Lors du dîner, on parle parfois du Grand tremblement de terre quand l’alcool délie les langues. Au lendemain du 11 mars 2011, si les parents et la grand-mère de Yumi sont sains et saufs, deux de ses cousins âgés d’une dizaine d’années ont perdu la vie lors de la tragédie de l’école primaire d’Ôkawa où 74 enfants et 10 enseignants ont péri lors du passage de la vague.
Dès le mois d’août 2011, Yumi s’est décidée à changer de vie. “ Quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais reprendre la ferme, ils étaient vraiment contents. Benjamine de la famille, j’étais la seule à ne pas être encore mariée. C’était donc un choix plus facile à faire pour moi que pour mes sœurs”, reconnaît-elle. Un changement de vie courageux, car la vie d’agriculteur est loin d’être facile dans le Tôhoku dont les hivers sont réputés pour leur rigueur. Il faut pouvoir résister à la neige et aux températures hivernales bien au-dessous de zéro.
La ferme de la famille Ishikawa existe depuis 127 ans. Au fil du temps, les parents se sont spécialisés dans la production de riz mais l’exploitation se composait auparavant d’une centaine de vaches laitières. Une activité que les parents ont arrêtée “car ils étaient fatigués.” Aujourd’hui encore, les stabulations témoignent de cette activité passée. “Quand je serai rodée, j’aimerais aussi me lancer dans la production de fruits : des pommes et des myrtilles.”
Si Yumi n’a jamais éprouvé de regrets, elle avoue avoir ressenti des doutes quelques semaines après son retour. Elle n’était plus la petite fille qu’elle était lorsqu’elle fréquentait cette ville. Elle avait grandi, étudié à Yokohoma, passé six mois au Canada. “J’ai dû trouver un travail à exercer en parallèle de mon apprentissage de l’agriculture. Je me suis vite rendue compte que cela allait être beaucoup plus difficile que prévu.”
Si dans la capitale japonaise, les femmes s’émancipent de plus en plus, dans les régions rurales comme le Tôhoku, les idées d’un autre âge restent ancrées. “J’ai postulé pour travailler au service promotion d’une entreprise de pêche locale. J’avais toutes les compétences requises mais on m’a refusé le boulot parce que j’étais une femme. Cela m’a un peu déprimé.”
Quelques semaines plus tard, “j’ai trouvé un poste dans une société d’import-export de produits électroniques vers l’Asie du Sud-Est. C’est assez similaire au poste que j’occupais à Tôkyô.” Lorsqu’elle reprendra l’activité de la ferme entièrement, “je garderai mon emploi dans l’entreprise. J’ai des possibilités d’évolution et surtout la seule culture du riz ne me permettra pas de vivre décemment financièrement.”
Au mois de juillet dernier, la jeune femme s’est mariée. L’heureux élu, Satô Takuma, 31 ans, est également originaire de la région. C’est “un ami d’enfance que j’avais perdu de vue” et auprès duquel elle s’est particulièrement rapprochée à son retour à Ishinomaki. La ferme est en effervescence autour du jeune couple. “Mon mari viendra s’installer à la ferme. Nous envisageons d’avoir deux ou trois enfants.”
Une fois qu’elle aura des enfants, pas question pour elle d’arrêter de travailler. “Nous nous organiserons entre mes activités et le métier d’électricien de mon mari : mes parents pourront m’aider un peu et il y a une crèche à Ishinomaki.”
Johann Fleuri