Tout le monde y vient pour voir la fameuse Porte du tonnerre. Mais le quartier réserve d’autres surprises.
Situé à l’est de la capitale, Asakusa est l’un des quartiers les plus appréciés de la ville dans la mesure où il a conservé l’esprit populaire de shitamachi, la ville basse. Malheureusement, c’est devenu un haut lieu du tourisme où le commerce a pris le pas sur d’autres considérations et où les visiteurs se rendent pour voir la plupart du temps toujours la même chose. Toutefois, il existe un autre visage d’Asakusa que le spécialiste de l’histoire de la ville Machida Shinobu nous a fait découvrir.
Rendez-vous a été pris avec lui un samedi matin ensoleillé. Comme d’habitude, la Porte du tonnerre (Kaminarimon), qui marque l’entrée du temple Sensôji, est noire de monde. Notre guide décide de nous emmener vers l’Asakusa Yomin Bunka Shiryôkan 30-tsubo no Himitsu Kichi ou Musée secret de 100 mètres carrés de la culture populaire d’Asakusa. Cette petite galerie est aussi dingue que son nom peut le laisser entendre. Elle a été ouverte en 2011 par Kudô Yûji, ancien président du très respecté fabricant de jeux Hudson. Machida Shinobu, qui en est le conservateur honoraire, nous explique que Kudô a décidé à l’âge de 50 ans de vendre ses parts de l’entreprise à son frère pour créer ce lieu atypique. « Il aime vraiment Asakusa. Il a donc consacré 150 millions de yens pour établir ce musée qui n’est qu’un simple passe-temps pour lui », confie-t-il.
L’établissement est ouvert toute l’année et les collections qui y sont présentées changent tous les trois mois. Le jour où nous l’avons visité, l’endroit était rempli de vieux lecteurs de cassettes dont une grande partie appartient à l’un des amis de Machida. « C’est le plus grand collectionneur du monde », dit avec enthousiasme Machida Shinobu. « Il possède non seulement près de 2 000 lecteurs de cassettes, mais il a aussi des téléviseurs, des machines à laver, des tas d’appareils électriques qu’il bricole lui-même ». Certains des appareils présentés possédaient un mini-téléviseur intégré ou un petit clavier de piano. Nous avons même pu voir un Aiwa TPR-101 de 1968 considéré comme le tout premier lecteur de cassette jamais produit dans le monde. Lorsque Kudô Yûji se présente, il nous raconte comment il a conçu son musée. « Je suis très intéressé par l’histoire de Tôkyô, en particulier sa culture populaire », explique-t-il. « Les gens viennent principalement à Asakusa pour respirer cette atmosphère un peu rétro qui y règne. Voilà pourquoi j’ai voulu présenter mes collections et celles des autres ». Kudô est également le propriétaire d’un cabaret restaurant situé à proximité de son musée. Dans l’entrée, on trouve des objets anciens, notamment plusieurs dioramas réalisés par Yamamoto Takaki qui décrivent le quartier à l’ère Meiji (1868-1912) ainsi qu’une douzaine d’affiches publicitaires anciennes appartenant à l’impressionnante collection de Kudô composée de 300 objets d’époque. La plus rare du lot est une affiche de Glico dont la valeur dépasse les 300 000 yens sur le marché.
Après avoir quitté Kudô, nous nous dirigeons vers un petit restaurant propriété de Yatsume Seiyaku, un spécialiste de médecine chinoise, où nous avons prévu de goûter la fameuse anguille Yatsume. « Ce n’est pas aussi bon que ça », nous glisse Kudô avant de partir. « Je me souviens quand j’étais gamin que personne ne voulait en manger. L’anguille servait surtout comme ingrédient dans les médicaments ». A notre arrivée sur place, nous sommes accueillis par Kaiji Shôtarô, le président de Yatsume Seiyaku, et Ôshima Yûko en charge de sa communication extérieure. Elle nous explique que l’entreprise a été fondée à l’ère Meiji et que c’est le seul endroit au Japon où l’on peut goûter l’anguille Yatsume. Apparemment nous sommes les premiers Occidentaux à le faire. On nous propose une assiette de kabayaki (anguille grillée dans une sauce à base de soja). Nous devons reconnaître que l’anguille est particulièrement savoureuse en dépit de la mauvaise publicité que nous en fait Kudô. Puis Kaiji Shôtarô pose sur la table ce qui ressemble à des pierres dorées. « Il s’agit en fait de vitamines composées selon la tradition médicinale chinoise. Enveloppées dans une feuille d’or de 24 carats, elles ont une odeur de plantes et leur goût ressemble à du chocolat amer », nous explique-t-il. Il ajoute que la production de médicaments traditionnels devient de plus en plus difficile, car la Convention de Washington interdit l’importation de certains ingrédients importants. Pour mieux nous faire comprendre ce qu’il est en train de nous expliquer, il nous entraîne dans une pharmacie chinoise de l’autre côté de la rue. La boutique regorge de produits bizarres comme le yuutan qu’on utilise comme médicament pour soigner les maux d’estomac, une tête de singe et une vipère. Certains produits les plus chers comme la corne de rhinocéros dépassent les 10 millions de yens. Il y a même un pénis de tigre qui servait dans le temps à gérer les problèmes d’érection.
Tandis que nous évoquons Asakusa, nous apprenons que la fête des lanternes (Kanto matsuri) est sur le point de commencer. Nous laissons nos amis de Yatsume pour nous rendre à Sensôji. Sur le chemin, nous croisons l’un des amis de Machida. Kono Michio est comédien et propriétaire d’un restaurant où l’on sert de la baleine. Il est très connu au Japon pour son « bakayarô » (Du con) qu’il lance à chaque fois qu’il est invité sur un plateau de télévision. Nous arrivons juste à temps pour le début de la fête. Elle a pour origine la préfecture d’Akita, dans le nord-ouest de l’archipel. Les participants se déplacent en portant d’immenses perches de 12 mètres au bout desquelles sont fixées des lanternes (kantô) dont le poids avoisine les 60 kilos.
Il est déjà midi et il est temps de nous restaurer. Malgré la très bonne anguille servie plus tôt, nous avons besoin de quelque chose de plus consistant dans l’estomac. Machida Shinobu nous entraîne alors chez Peter’s, une petite échoppe spécialisée dans le curry de riz et tenue par une vieille dame très gentille. Le restaurant est situé dans un immeuble délabré à l’écart des voies touristiques, ce qui ne l’empêche pas de figurer parmi les meilleures tables de certains guides gastronomiques. A l’intérieur, l’un des murs a été peint par un artiste spécialisé dans le kamishibai (théâtre de papier). Nos jambes ont du mal à trouver leur place sous la table. Le mobilier semble avoir été conçu pour des gens bien plus petits. « C’était parfait pour les Japonais d’avant », raconte Machida Shinobu. Il se trouve que le restaurant a été ouvert en 1964.
Notre dernière destination est Kappabashi, une rue proche d’Asakusa qui est célèbre pour ses boutiques qui alimentent les établissements de restauration. Nous avons pris rendez-vous avec Niimi Hitoshi dont le magasin a été fondé il y a plus de 100 ans par son arrière-grand-père. Il s’agit du plus grand et du plus connu de Kappabashi. On y trouve de tout y compris certains objets volumineux. Il possède une énorme toque qui est devenue le symbole du quartier.
Niimi-san nous montre une bouilloire énorme. Faite en aluminium, elle est d’une légèreté surprenante. Apparemment, un modèle plus petit a été utilisé par Arnold Schwarzenegger, il y a quelques années, dans une publicité télévisée pour des nouilles instantanées. « On la met souvent en avant et il arrive qu’on l’utilise lors d’événements importants comme les fêtes locales », explique Niimi Hitoshi. « Nous avions reçu une commande pour dix exemplaires de cette bouilloire. Nous avions demandé au maître artisan responsable de la première de les fabriquer pour nous. Malheureusement, il est mort alors qu’il travaillait sur la troisième bouilloire. Désormais, chacune d’entre elles peut se négocier pour le prix d’une Toyota Corolla; entre 500 000 et 600 000 yens », poursuit-il. Nous faisons ensuite un tour de la boutique. C’est le paradis des chefs qu’ils soient professionnels ou amateurs. Ils peuvent y trouver tout ce dont ils ont besoin. « Tout le monde vient ici. Pas seulement les hôteliers ou les restaurateurs. On reçoit le personnel des ambassades et même du Palais impérial », raconte fièrement Niimi Hitoshi. Les seuls produits qu’ils ne vendent pas, ce sont les répliques de plats en résine que les touristes apprécient tant. « Avant on en proposait à l’époque où ce genre de produits étaient de bonne qualité. Quand les restaurants ont commencé à réclamer des produits particuliers, nous avons cessé d’en vendre », explique-t-il. Puis, il nous entraîne derrière une porte qui conduit vers le toit d’où l’on peut admirer de près le portrait géant. « Il s’agit de mon grand-père », explique Niimi Hitoshi. « Quand le magasin a ouvert en 1907, ma famille avait décidé de choisir la tête d’un inconnu pour en faire son logo. Après avoir hérité de l’affaire, mon père a décidé de créer un portrait en trois dimensions et choisi de prendre le visage de mon grand-père comme modèle et de lui ajouter une moustache », dit-il en riant. De près, la tête est encore plus impressionnante lorsqu’on l’examine en détail. « Mon père m’a raconté que c’est le même artiste qui a travaillé sur la création du château de Cendrillon à Tokyo Disneyland. Le visage a été peint à la main. Elle a l’air comme neuve, car elle vient d’être repeinte. Bientôt elle retrouvera son bronzage dû à la pollution », ajoute-t-il.
Jean Derome
Carnet d’adresses :
Asakusa Yomin Bunka Shiryokan 30-tsubo no Himitsu Kichi 2F Kurosawa Bldg, 1-14-6 Kaminarimon, Taitô-ku
http://ufo.jp/
Yatsume Seiyaku 1-10-4 Asakusa, Taitô-ku
http://www.yatsume.co.jp/kabayaki.htm
PETER’s -13-1 Nishi Asakusa, Taitô-ku
Tél. : 03-3844-5984
NIIMI 1-1-1 Matsugaya, Taitô-ku
http://nttbj.itp.ne.jp/0338420213/index.html