Pour redonner un sens à leur vie, des habitants ont lancé des projets. Certains d’entre eux sont aujourd’hui des succès.
On s’est beaucoup intéressé aux activités des communautés locales qui ont permis de créer des emplois et d’apporter une certaine joie de vivre aux sinistrés désœuvrés. Entre janvier et février 2013, nous avons publié une série d’articles sur les produits créés dans ce cadre. Deux années se sont écoulées depuis et nous avons de nouveau enquêté pour faire le point sur ces initiatives.
Ono-kun
Ono-kun, avec son visage innocent, ses longs bras et ses longues jambes est une mascotte cousue main par les femmes qui se réunissent dans le local d’habitations provisoires devant la gare d’Ono, à Higashi-Matsushima. Jusqu’à maintenant, Ono-kun s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires. Un succès pour un business local mais l’objectif est d’en vendre 100 000 unités. On est en train de réfléchir à ce qu’il adviendra une fois que ces femmes auront quitté les logements provisoires.
Ono-kun est une mascotte représentant un singe. Elle a été créée à partir d’une chaussette remplie de coton. Le déclic s’est fait à partir d’une mascotte du même genre qui avait été offerte aux habitants des logements provisoires ; la présidente du comité des habitants des logements, Takeda Fumiko a entamé la vente de cette mascotte dès le 20 avril 2012, un an après le séisme. Chaque Ono-kun est une pièce unique confectionnée avec différents types de chaussettes et cousue à la main. Au-delà de son côté mignon, le fait d’avoir été créée dans les logements précaires a touché le cœur de tous. Grâce au bouche-à-oreille, le succès est arrivé rapidement.
Ses acheteurs sont devenus ses “parents adoptifs” non seulement un peu partout au Japon mais aussi à l’étranger. La plupart des clients sont très fidèles au point d’en acheter plusieurs. Pour qu’un maximum de personnes viennent en acheter sur place à Higashi-Matsushima, seuls les visiteurs des logements provisoires sont prioritaires pour se le procurer. Les commandes quant à elles ne peuvent être honorées qu’au bout de six mois ! La fabrication est assurée par une vingtaine de femmes de 30 à 60 ans ; un effectif qui a doublé depuis le début. Certaines mères de famille en fabriquent chez elles ce qui permet ainsi de créer de nouveaux emplois. Ono-kun est vendu 1 000 yens (7,80 €). “Je n’aurais jamais imaginé un tel succès. J’avais prévu d’arrêter quand nous quitterions les logements provisoires”, explique Mme Takeda. Fin 2014, 80 logements provisoires devant la gare d’Ono ont été fermés. Il n’en reste plus qu’une vingtaine. On peut encore utiliser la salle de réunion, mais pour continuer nos activités, il faudrait avoir un local indépendant. Alors, un projet de “gare virtuelle” a vu le jour. Il s’agit d’une base d’activité avec un coin pour la vente de produits agricoles et un café-restaurant. Un terrain a été réservé à côté des logements provisoires et des fonds ont été récoltés grâce à un financement participatif sur Internet.
On a aussi assisté à la naissance du “Grand Ono-kun”, version costumée de la mascotte avec création de produits dérivés et des livres. On note une augmentation de ses apparitions dans les médias. Si l’on a pu craindre un certain ressentiment à l’égard de ce grand succès, il n’en est rien pour ces femmes pleines d’idées créatrices et fières de leur activité. “Il m’est arrivé de pleurer en pensant à l’avenir. Mais je commence à sourire au fond de mon cœur”, confie Mme Takeda en se rappelant les mois passés. Ono-kun est aujourd’hui au centre de sa vie et tout en cherchant un nouveau chez-soi dans le quartier d’Ono, elle parle de son attachement pour cette mascotte. “Tous ces liens tissés avec les gens ont été importants et le séisme ne nous a pas apporté que de mauvaises choses”, assure-t-elle.
Atelier Ceramika
“J’ai bien conscience que notre rêve prend forme peu à peu”, estime Mme Abe Narumi, représentante de l’association Atelier Ceramika de Minato Machi. Elle a ouvert cet atelier de tuiles espagnoles en juin 2012 dans le centre commercial Kibô no Kane [Les Cloches de l’espoir] à Onagawa. Ses tuiles représentent les paysages d’avant le séisme et continuent de donner des couleurs à la ville en attirant les voyageurs originaires d’autres régions du Japon.
Jusqu’au 11 mars 2011, elle avait suivi des cours de poterie. A l’automne de la même année, quand un ami lui a montré des tuiles espagnoles, séduite par leurs formes originales et la richesse de leurs coloris, elle a voulu reprendre une activité créatrice. En janvier 2012, elle s’est rendue à Tôkyô pour suivre des cours de tuiles et en mars elle est partie à Valence et Tolède pour apprendre sur place les techniques. “Je veux redonner des couleurs à la ville d’Onagawa en reconstruction”, affirme-t-elle. C’est en ces termes qu’elle a sollicité l’aide de l’architecte Ban Shigeru, chargé de la construction des logements provisoires. Ayant obtenu un four, un don de la Kyôto University of Art and Design, elle a ouvert un atelier de céramique en juin 2013.
Si les tuiles espagnoles sont faites de motifs géométriques, celles de l’atelier de Mme Abe représentent les événements, les paysages et les cultures de la région, avec l’idée de “mettre en avant les spécificités d’Onagawa”. Ces créations ont un côté nostalgique qui attire l’œil. Depuis, un hôtel-conteneur de la ville (ouvert par les habitants après le séisme alors qu’il n’y avait plus d’hôtels) a passé une grosse commande de 60 tuiles espagnoles, en guise de plaques numérotées pour les chambres-conteneurs.
En avril 2013, l’atelier a acquis le statut d’association lui permettant de bénéficier d’une aide gouvernementale pour l’emploi d’urgence. Son personnel est composé de trois temps pleins, de trois mi-temps, et de deux temps partiels. Pour développer des activités ancrées dans la région, cet atelier essaie d’améliorer les techniques de base de tout le personnel. Et pour promouvoir leurs tuiles auprès des habitants et des visiteurs, différents ateliers de travail sont organisés.
Tous ces efforts ont porté leurs fruits. En 2014, la ville leur a passé une commande conséquente: des tuiles pour les premiers logements publics réservés aux sinistrés. En discutant avec Urban Renaissance Agency, un organisme gouvernemental pour la construction, les membres de l’association ont participé à la création d’un espace avec 101 tuiles posées dans les six immeubles des logements publics. Le thème choisi s’est porté sur des paysages régionaux comme cette scène de la danse du lion sur la mer lors de fêtes traditionnelles.
Afin de faire connaître les tuiles à plus de gens, ils ont diffusé un livret original résumant toutes leurs activités. Un partenariat a pu se réaliser avec une société Internet de Kôbe. Le producteur de bière Sapporo leur a apporté également son soutien pour la création de “tuiles souvenir” sur lesquelles les visiteurs peuvent laisser l’empreinte de leurs pas et un message. Quant aux tuiles sur mesure, leur carnet de commandes est plein pour les trois mois à venir.
“Jusqu’à la dernière touche, on reste très concentré. Tout le personnel a atteint un niveau où chacun est fier de sa réalisation. Quand nos tuiles seront un jour utilisées partout dans la ville, on pourra organiser une visite guidée pour raconter l’histoire de chacune d’elles. Je serais ravie de créer des tuiles originales qu’on baptisera tuiles d’Onagawa”, confie Mme Abe. Ces nouveaux objectifs ne manquent pas de lui donner un regard éclatant.
Kumagai Toshikatsu & Yokoi Yasuhiko