Cinq ans après les ravages du tsunami, la cité portuaire se reconstruit grâce à l’engagement de tous ses habitants.
Sur le flanc de la colline d’Onagawa se trouve le belvédère de l’hôpital qui domine la ville. On vient voir une langue de terre aux couleurs ambrées glissant entre deux montagnes jusqu’à l’océan. Des tractopelles sont en action depuis 5 ans. Les habitants balayent l’horizon avec leurs bras, désignant des habitations effacées, retraçant l’avenue principale qui descendait jusqu’à la marina et son centre commercial, lui aussi emporté par le tsunami. Le 11 mars 2011, au milieu de l’après-midi, une vague a déferlé sur la ville détruisant la quasi-totalité des bâtiments. Reste cet hôpital. Son premier étage surplombant le bord de mer à 16 mètres de hauteur fut lui aussi envahi par les eaux. Il a été réhabilité grâce à des dons venus de Suisse. Désormais, de l’autre côté, sur sa gauche, la nouvelle ville prend forme.
Remise en service en mars 2015, la gare d’Onagawa est le terminus de la ligne d’Ishinomaki. Elle a été déplacée d’une centaine de mètres par rapport à l’ancienne, neuf mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a été conçue comme une porte sur le nouveau centre-ville. Pour l’instant, les habitants viennent par curiosité. Ils vivent pour la plupart dans des préfabriqués construits sur les hauteurs et se félicitent du résultat. L’ambiance invite à la détente et séduit un nouveau type de population venant de loin pour découvrir ce petit port de pêche réaménagé.
Après le tsunami, le projet initial de reconstruction prévoyait de créer une digue qui aurait eu pour conséquence de former un mur entre la ville et la mer. En suivant les directives gouvernementales, beaucoup d’autres cités touchées par la déferlante ont fait ce choix. La ville voisine d’Ishinomaki, dont un des quartiers en bord de mer a entièrement disparu, a vu son horizon se réduire de sept mètres. En voiture ou en bus, on longe son front de mer à l’ombre d’une imposante digue qui répond aux normes des tsunamis millénaires.
Onagawa a refusé le projet des autorités, les habitants ont pris leur destin en main et ils ont décidé de réinventer leur ville. Après la catastrophe, la prise de conscience s’est faite rapidement, elle a bénéficié d’un contexte favorable. Un nouveau maire, plus jeune, 39 ans, a été élu. Il a quitté son poste de député départemental pour se consacrer seulement à la ville. Un marché et un “centre-ville de fortune” ont été réaménagés en périphérie. Une campagne de communication a été montée par l’agence de presse régionale Kahoku pour le soutenir. Une soixantaine de graphistes ont réalisé, avec beaucoup d’humour, des portraits de ces commerçants, lesquels ont été largement diffusés sur les réseaux sociaux. Les regards se sont alors tournés vers cette ville. Des espaces dédiés aux réunions et aux assemblées ont rapproché les habitants. L’usine Maskar, spécialisée dans la congélation des produits de la mer, principale ressource de cette ville de pêcheurs, a repris ses activités en 2012, grâce au soutien du Qatar. On vient de loin pour déguster son Onagawa-don, un bol composé de poissons et crustacés fraîchement pêchés sur un lit de riz, proposé dans l’un des rares restaurants ouvert au bord de la mer. Aujourd’hui, on y retrouve l’émotion et l’enthousiasme, qui ont donné aux habitants la volonté de s’ouvrir aux touristes afin de garantir le dynamisme de cette petite bourgade du nord-est de l’archipel. Une nouvelle société a été créée. Baptisée Onagawa future creation, elle a pour objectif de reconstruire et repenser le cœur de ville. Le nouveau maire a accompagné le mouvement. C’est un partenariat public-privé-habitants d’un nouveau genre qui a permis à la ville de prendre cette direction. Ômi Kôichi, patron du quotidien Ishinomaki Hibi Shimbun [avec lequel Zoom Japon entretient des relations d’amitié et de coopération depuis mars 2011] et cheville ouvrière de ce projet, souhaite donner une autre dimension au port de pêche. Plutôt que de monter une digue, c’est Onagawa même, qui a été relevée de sept mètres au-dessus du niveau de la mer.
Inauguré en décembre 2015, le nouveau centre-ville se concentre autour d’une promenade centrale aux larges allées qui descendent jusqu’à la mer (voir Zoom Japon n°57, p4-5). “En cas de tsunami, le plus dangereux c’est de ne pas le voir venir”, précise Konno Masahiko, un des maîtres d’œuvre d’Onagawa Future Creation. L’axe s’arrête sur une large bande de grillages. En face, les travaux continuent sur une centaine de mètres jusqu’à l’océan. Au milieu des gravats, on trouve le bâtiment de l’ancien poste de police couché sur son flanc. Il est enfoncé dans le sol, entouré par sept mètres de terre. Il a été conservé ainsi afin de rappeler l’ancien niveau de la ville. C’est la dernière et unique construction d’avant qui témoigne de la violence du tsunami. Il y a un espace où l’on peut lire les témoignages, découvrir les initiatives ou acheter des souvenirs liés au 11 mars 2011 comme le livre de photos montrant sur sa couverture une “soupe” de bâtiments noyés par les eaux. On peut l’acheter dans un des nouveaux pavillons situés en face d’un café dont la fréquentation est continue. Bien qu’il y ait très peu d’habitations aux alentours, les allées sont toujours animées par les curieux débarquant par le train ou s’arrêtant sur l’un des parkings.
Avec la gare, c’est la première étape d’une reconstruction qui devrait s’achever en 2021. Beaucoup de terrains sont encore vierges de toutes constructions. Le centre est pour l’instant un agrégat de commerces et de lieux à vocation culturelle propice à la flânerie. Onagawa Future Creation souhaite maintenir cet équilibre en offrant des espaces d’expression pour les artistes, proposer des résidences, développer divers projets, attirer les investisseurs. La société a déjà intégré au programme de jeunes commerçants, car elle pense aussi à attirer de nouveaux élèves pour l’école primaire et le lycée.
La jeunesse prend une part importante dans la vision du futur de la ville. Ômi Kôichi est aussi à la tête du club de football local. Créé en 2006, il constitue un moyen idéal pour fédérer les jeunes et développer la région par le sport. Le tsunami a aussi ravagé le stade de football. Onagawa voulait garder son équipe : la Cobaltore. Le club a pu reprendre ses activités un an après la catastrophe. L’équipe a annoncé son ambition de rejoindre la première division et d’attirer de nouveaux supporters. L’équipe junior a elle aussi repris l’entraînement et accédé à son centre de formation.
Fin 2016, les bâtiments du centre culturel et de la galerie marchande dédiée aux produits locaux seront achevés. Ils prolongeront la promenade et redonneront aux habitants d’Onagawa un accès au bord de mer surélevé et déplacé de deux cents mètres par rapport à l’ancien centre-ville. Pour l’instant, les pelleteuses continuent d’aménager les collines avoisinantes en terrasses, et on imagine facilement les futures constructions qui illumineront la baie d’Onagawa. Le centre-ville va lui aussi s’agrandir en s’ouvrant sur de larges allées tracées en étoiles vers les collines afin de faciliter l’évacuation vers les hauteurs en cas de nouvelle catastrophe. Les terrains adjacents sont en vente pour la construction de nouvelles habitations.
Le petit port de pêche se mue lentement et ses habitants ont déjà conscience de la valeur de leur future ville. Elle a perdu tous ses poteaux électriques si typiques des cités japonaises. Ils ont laissé place à d’élégants lampadaires.
Dominique Leray & Ritsuko Koga