Face à la pénurie d’hébergements qui s’annonce, le logement chez l’habitant suscite un intérêt croissant dans les régions.
En 2015, près de 20 millions de touristes étrangers se sont rendus dans l’archipel. Un bond de plus de 47 % par rapport à l’année précédente, rapporte l’Office du tourisme national japonais. Du jamais vu et un nouveau record pour le gouvernement qui multiplie ses efforts pour gonfler le flux de visiteurs étrangers avant les Jeux olympiques de Tôkyô de 2020.
Face à cette croissance aussi rapide qu’inespérée, les besoins en hébergements touristiques se font déjà ressentir. Une étude de l’Institut de recherches Mizuho, relayée dans la presse japonaise, a récemment révélé que si le nombre de 25 millions de touristes étrangers était atteint d’ici 2020, 4 000 hébergements viendraient à manquer dans la capitale et 20 000 dans le Kansai, la région d’Ôsaka.
A Ôta, le plus grand des 23 arrondissements de Tôkyô, on tire déjà la sonnette d’alarme. Ici, dans la zone qui comprend l’aéroport international de Haneda et compte 712 000 habitants, on a atteint les 91 % de capacité hôtelière. “Nous sommes à la limite, explique le maire Matsubara Tadayoshi. Nous avons donc décidé de prendre les devants et avons pris un arrêté autorisant les minpaku.” Une première au Japon.
Le minpaku est un hébergement chez l’habitant. Un propriétaire accepte de louer à un voyageur de passage une pièce de son foyer ou un logement secondaire qui lui appartient. Jusqu’à présent, cette pratique était illégale au Japon. En effet, toute personne qui commercialise une offre d’hébergement doit se plier aux règles de la législation des professionnels de l’hôtellerie, en répondant à de nombreux critères, notamment en matière d’hygiène. C’est le cas des hôtels classiques, mais aussi des auberges traditionnelles comme les minshuku et les ryokan. La filiale japonaise d’Airbnb existe, mais encore une fois, elle est, en principe, réservée aux professionnels qui doivent pouvoir justifier de leur statut à tout moment.
Dans l’arrondissement d’Ôta, l’arrêté va permettre de contourner la législation en vigueur, mais aussi de régulariser les “hébergements chez l’habitant” sauvages. “Notre arrondissement est devenu, en octobre dernier, une zone spéciale de stratégie nationale définie par le gouvernement. Pour cette raison, nous avons pu proposer cette initiative inédite au Japon. Si les particuliers peuvent prétendre à l’activité sans statut professionnel, ils devront néanmoins se plier à quelques contraintes”, poursuit le maire.
L’arrêté, le “tokku minpaku”, a été voté le 7 décembre. Il impose par exemple une durée de séjour de 7 jours minimum “pour ne pas concurrencer les professionnels de l’hôtellerie qui facturent davantage à la nuit et pour répondre aux besoins des touristes étrangers qui restent en moyenne une semaine dans la capitale.” Contrairement aux hébergements traditionnels (ryokan et minshuku) il n’y aura ni dîner ni petit-déjeuner. Le prix variera selon la qualité du logement proposé. “Les travaux éventuels de rénovation seront à la charge du propriétaire”, précise le maire. Enfin, les gérants de minpaku n’auront pas besoin de licences particulières et ne paieront pas non plus de taxes pour cette activité.
Matsubara Tadayoshi se félicite. Il espère revitaliser son territoire qui est, à l’image du pays, vieillissant. Dans de nombreuses régions rurales de l’archipel, 40 % de la population a plus de 65 ans. “Le minpaku pourrait être une solution pour les régions japonaises qui souhaitent accueillir davantage de touristes pour dynamiser leur économie”, explique-t-il. “Une façon aussi, je l’espère, de trouver une utilité aux 62 000 maisons vacantes de notre arrondissement… Un chiffre qui augmente, chaque année, un peu plus”.
L’idée du maire est loin d’être incongrue. Internet aidant, l’hébergement chez l’habitant a fait un bond ces deux dernières années au Japon. Il y aurait près de 20 000 minpaku “sauvages” dans l’archipel. Face à la demande, un marché parallèle s’est créé. En décembre dernier, la presse nipponne a rapporté une intervention des forces de l’ordre auprès de deux propriétaires qui pratiquaient la location intensive de minpaku à des touristes, majoritairement chinois : ils louaient 36 chambres qui accueillaient de 30 à 70 touristes par jour.
Même si c’est illégal, il reste rare que la police s’intéresse à ce secteur. Si la plateforme Airbnb Japan ne propose, officiellement, que des logements professionnels, on peut également trouver des minpaku sans autorisation. La compagnie a d’ailleurs annoncé, en novembre dernier, avoir accueilli 525 000 visiteurs étrangers sur le sol japonais pour un revenu de 222 millions de yens (1,7 million d’euros). Cette popularité fait aujourd’hui grincer les dents des riverains qui se plaignent de nuisances.
Avec l’arrêté, ce type d’hébergement “sera plus sûr, car il bénéficiera d’un cadre légal. Nous nous engageons aussi à accompagner les quartiers pour éviter les problèmes de voisinage qui peuvent être générés par le flux de touristes”, confirme Matsubara Tadayoshi. Il ne cache pas que les habitants d’Ôta ne voient pas tous l’arrivée de ces voyageurs étrangers d’un bon œil. A l’annonce de cette permission, la mairie a été submergée de visites et de courriers de riverains inquiets. “Ils ont peur pour le bruit, pour l’organisation des poubelles et de manière générale pour l’insécurité que les allers et venues peuvent créer dans les quartiers”, explique-t-il. Dans son arrêté, l’équipe municipale se réserve le droit d’enquêter sur certains minpaku si nécessaire.
Depuis la fin janvier, les propriétaires intéressés par l’activité sont invités à déposer un dossier pour déclarer leurs offres de minpaku. Les autorisations seront délivrées dans les deux semaines suivant le dépôt. Vingt-quatre heures seulement après l’annonce de l’autorisation, une soixantaine de candidats s’étaient manifestés. Les premiers minpaku ont ouvert courant février.
Des entreprises ont rapidement fait connaître leur souhait d’investir dans des maisons qui serviront à cette activité dans le quartier d’Ôta. D’autres professionnels entendent bien profiter de la brèche pour promouvoir ce nouveau business en concentrant les offres des différents propriétaires sur des sites Internet attrayants, anglophones et ouverts à l’international, comme par exemple Stay Japan. “Avec notre arrêté, nous leur offrons une meilleure visibilité, un véritable développement. Tout le monde est gagnant”, souligne Matsubara Tadayoshi.
Du fait de la présence de l’aéroport de Haneda, Ôta est un pivot important dans l’accueil des touristes. “Nous sommes les premiers ambassadeurs de l’omotenashi, l’hospitalité à la japonaise”, affirme le maire. Pour cela, il n’hésite pas à multiplier les actions en faveur du tourisme international, mais aussi de ses résidents non-Japonais. Il l’a bien compris : si le business du minpaku doit prendre de l’ampleur, ce sera grâce aux voyageurs étrangers qui plébiscitent ce genre d’hébergements bons marchés et plus proches de l’habitant. “Notre centre multiculturel propose des services en quatorze langues différentes”, ajoute-t-il.
Le minpaku d’Ôta suscite déjà des vocations dans le reste du Japon. La préfecture d’Ôsaka a exprimé son souhait d’adopter un arrêté de même nature, dès le mois d’avril, dans 34 de ses villes, parmi lesquelles Izumisano où l’aéroport du Kansai est implanté. Le peu de contraintes offertes par le cadre du minpaku pourrait rapidement devenir ainsi une source de revenus pour des régions rurales.
Comme par exemple à Teshima, petite île de la mer Intérieure, au large de Shikoku. Neuf habitants de l’île proposent déjà des minpaku afin d’inviter les voyageurs à partager leur quotidien. Particulièrement généreux, ils proposent, en complément du gite, de les accompagner à la pêche, dans les tâches agricoles ou encore de cuisiner ensemble un plat local. L’office de tourisme de l’île pilote le système de réservation. Seul problème pour les touristes étrangers : il est nécessaire de comprendre le japonais pour réserver en ligne et surtout loger chez l’un des habitants.
Aujourd’hui, la barrière de la langue reste un frein pour les touristes étrangers qui viennent au Japon. Les auberges traditionnelles sont, par exemple, relativement peu nombreuses à proposer des services en plusieurs langues. Ces dernières, dont les touristes étrangers sont particulièrement friands, restent de ce fait difficiles d’accès. Chaudement encouragées, les auberges restent frileuses à se former à l’anglais ou au chinois, malgré une situation inquiétante : le Japon ne possède plus que 43 000 ryokan, moitié moins qu’il y a trente ans. Dans certaines régions rurales, les établissements atteignent péniblement les 35 % de leur capacité d’occupation alors même que le pays manque d’hébergements touristiques.
Johann Fleuri
Référence
Stay Japan : https://stayjapan.com
Teshima : http://benesse-artsite.jp/en/stay/minpaku