C’est alors que les gens peuvent emprunter le pont et le traverser. Pendant 195 ans, seul le daimyo et ses vassaux pouvaient passer par le pont, les autres mortels devaient se contenter de prendre le bateau pour aller sur l’autre rive. Ce n’est qu’en 1868 que tous les citoyens furent autorisés à l’utiliser. De nos jours, après s’être acquitté d’un péage de 300 yens, n’importe qui peut le traverser, mais cela ne nous empêche pas d’avoir l’impression de se sentir privilégié de pouvoir le faire.
Une fois la procession terminée, ils sont des centaines de touristes à s’y croiser. Et lorsqu’on demande si le pont peut supporter un tel poids, un guide local bénévole nous répond qu’il ne faut pas s’inquiéter. « Il a été conçu pour être plus solide à mesure que le poids augmente », assure-t-il. A l’instar du daimyo et de son entourage, cela vaut la peine de prendre le temps de le traverser. Il convient de s’attarder et de savourer chaque instant, de profiter des courbes du pont, des marches, des collines boisées tout autour et de la rivière Nishiki sur son lit de pierre. Après tout, nous sommes bien au pays des pierres : Iwakuni.
Le tir soudain des arquebuses fait sursauter les gens. Il vient de l’autre côté de la rivière où se trouve une compagnie d’arquebusiers composée d’hommes et de femmes d’Iwakuni, en tenue de combat de samouraïs. Le chargement de ces vieux fusils est un processus complexe qui prend un certain temps (comme tout le reste de nos jours), mais lorsque le commandant dans son splendide costume donne l’ordre de tirer, retentit alors un craquement collectif fort et toute la troupe disparaît dans un nuage dense de fumée. A ce moment-là, vous regardez autour de vous et pendant un moment, rien absolument rien ne laisse supposer que vous êtes au XXIe siècle. La compagnie des arquebusiers d’Iwakuni s’entraîne une fois par mois le long des rives de la Nishiki. Comme les ingénieurs du pont, ses membres souhaitent préserver cet héritage culturel, en particulier le style d’Ishida Mitsunari, commandant de l’armée occidentale pendant la bataille de Sekigahara. Après cette séance, les jolis tireurs sont heureux de poser pour des photos. Ils vous laissent même porter leur arme. « Celle-ci a été utilisée il y a plus de 300 ans au Japon », confie l’un d’entre eux, les mains noires de poudre.
Pour terminer la journée, vous ne pouvez pas quitter Iwakuni sans avoir goûté ses célèbres sushi en couche. Des guides bénévoles revêtus de leur veste turquoise vous aideront volontiers à trouver l’un des nombreux restaurants qui en servent, comme le Hangetsu Ryokan, fondé en 1869, juste en bas de la route du pont. En face, il dispose d’un magnifique petit jardin wabi-sabi avec des lanternes de pierre moussues, des érables et un étang avec des carpes. Une dame vêtue d’un kimono rose vous aperçoit en train d’admirer les poissons. « Nishiki goi, » dit-elle. Elle insiste sur le mot « Nishiki, » comme pour dire « Voyez, ils ont nommé le poisson comme notre rivière, celle avec le pont ».
Steve John Powell
Pour s’y rendre
Au départ de Hiroshima, deux possibilités s’offrent à vous. Vous pouvez emprunter le shinkansen en direction de Hakata jusqu’à Shin-Iwakuni (15 mn) ou bien la ligne JR Sanyô jusqu’à Iwakuni (26 mn). Dans les deux cas, il vous restera à parcourir 5-6 km en bus ou en taxi jusqu’au pont Kintai.