Personnage clé de la première série, Kurobe Susumu reste, 50 ans plus tard, extrêmement populaire.
Depuis le début de la saga Ultraman, il y a 50 ans, de nombreux acteurs ont interprété l’alter ego humain d’Ultraman, mais aucun d’entre eux ne peut rivaliser en popularité avec Kurobe Susumu alias Hayata Shin, membre de la première Agence d’investigation scientifique (AIS) dans son célèbre costume orange. A 76 ans, Kurobe est toujours très actif. En 2012, il a même repris son ancien rôle dans le long métrage Ultraman Saga. Nous l’avons rencontré au siège de Tsuburaya Productions.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire l’acteur ?
Kurobe Susumu : Ça m’a pris alors que j’étais en année de licence à l’université. Déjà au lycée, j’aimais le cinéma et je séchais souvent les cours pour aller voir des films. J’adorais particulièrement les jidaigeki (films d’époque) avec des stars comme Misora Hibari et Ichikawa Utaemon. Avant cela, quand j’étais au collège, j’avais assisté à un spectacle de théâtre mis en scène par des jeunes de la ville. Je crois que c’est la première fois que j’ai pensé à devenir acteur un jour.
Comment avez-vous réussi à vous faire embaucher par la Tôhô ?
K. S. : Avant d’y entrer, j’avais appartenu à une troupe de théâtre à l’université, mais nous n’avions pas beaucoup de succès. A cette époque, j’avais des problèmes à la maison. Ma famille m’a rejeté, et je me suis retrouvé sans le sou à Tôkyô. J’ai laissé tomber mes études et commencé à chercher un moyen de gagner un peu d’argent jusqu’à ce que je commence à travailler comme cireur de chaussures. C’était en 1961. A ce moment-là, j’ai été repéré par un réalisateur qui m’a présenté à la Tôhô.
Parlez-nous de vos débuts en tant qu’acteur.
K. S. : J’ai passé les six premiers mois à me former au métier d’acteur. Après, j’ai commencé à apparaître dans des films, mais seulement comme figurant dans des scènes de rue. Je devais seulement marcher face à la caméra ou rester debout en arrière-plan sans dire un mot. J’étais vraiment au bas de l’échelle. Heureusement, j’ai attiré le regard d’un producteur qui a favorisé mes vrais débuts en 1963.
Quel genre de rôles avez-vous interprété ?
K. S. : N’importe quoi que ce soit dans des films sur la jeunesse ou des films de yakuza. A l’époque, le principe de l’audition n’existait pas. Les acteurs étaient assignés à un film et il devait faire ce qu’on lui disait. Nous étions de simples employés de l’entreprise et nous obéissions aux ordres qui venaient d’en haut. Pour la petite histoire, l’un des premiers films dans lequel j’ai fait une apparition s’intitulait Kokusai himitsu keisatsu : Kagi no kagi [Police secrète internationale : la clé de la clé, 1965], une parodie des films de James Bond, qui a ensuite été réutilisée par Woody Allen pour son film Lily la Tigresse. Il a pris quelques scènes originales, les a remontées avant d’ajouter de nouvelles scènes et de nouveaux dialogues.
En 1966, on vous a donc demandé de jouer dans la nouvelle série Ultraman. Que pensiez-vous alors d’un tel super héros ? Pensiez-vous que c’était une bonne chose pour votre carrière ?
K. S. : Je voudrais tout d’abord souligner qu’en m’affectant à ce rôle, la Tôhô avait enfreint une règle en vigueur dans les studios. Jusque-là, les acteurs de cinéma n’étaient pas autorisés à apparaître à la télévision, parce que le petit écran était considéré comme un travail de second ordre par rapport au cinéma. Mais quand la Tôhô a produit la série Ultra Q qui a précédé Ultraman, j’avais fait une apparition en tant qu’invité dans un des épisodes. Aussi lorsque le projet Ultraman a été lancé, je connaissais déjà les ressorts de l’histoire. Cela dit, pour répondre à votre question, c’était à la fois juste un autre travail d’acteur comme j’en avais fait auparavant, mais en même temps, les films de science-fiction avec des monstres étaient une nouveauté à l’époque. J’étais donc curieux mais aussi un peu inquiet du résultat final. Honnêtement, je n’étais pas complètement persuadé que les téléspectateurs attendaient ce genre d’histoire. Finalement, tout est allé très vite avec des audiences records allant jusqu’à 42,8 %, ce qui était extraordinaire. Je pense que ce résultat est le fruit des efforts concertés de toutes les personnes impliquées dans le projet. Je crois qu’une bonne partie du succès initial de la série est liée au visage/masque d’Ultraman qui a été conçu par Narita Tôru. Il avait presque une dimension divine. Il me rappelait Kannon, la divinité bouddhiste de la miséricorde. D’ailleurs, même si l’apparence générale d’Ultraman a quelque peu changé au fil des années, son visage est plus ou moins resté le même.
Pour les gens de l’époque, ça a dû être vraiment quelque chose…
K. S. : Bien sûr, c’était quelque chose d’extraordinaire, en particulier pour les enfants qui étaient notre public cible. A cette époque, les enfants n’avaient pas autant de jouets qu’aujourd’hui et ils appréciaient les jeux plus simples. Pour vous montrer à quel point ils étaient emballés par Ultraman, il faut se souvenir que la plupart des maisons de l’époque ne disposaient pas d’une salle de bains privative, de sorte que beaucoup de gens allaient au sento [bain public] du quartier après le dîner. Eh bien, si vous y alliez à 19h, vous n’y trouviez aucun enfant parce qu’ils étaient tous rentrés en courant à la maison pour voir Ultraman. C’est une des raisons pour lesquelles ces vieux fans sont restés fidèles à la série, même après avoir grandi, et aujourd’hui, 50 ans plus tard, ils prennent encore plaisir à la regarder et à partager leur passion avec leurs enfants ou leurs petits-enfants.
Comment se déroulait le travail sur le tournage de la série en 1966 ? Quels défis avez-vous dû affronter ?
K. S. : Comme je le disais, il s’agissait d’interpréter un rôle. En cela, il n’y a pas beaucoup de différence entre le cinéma et la télévision. Cependant, les cinq membres de l’AIS devaient se battre contre des monstres géants. Comme les scènes de monstres étaient tournées dans un studio différent, nous devions prétendre que nous nous lancions à leur recherche. Il fallait faire en sorte que tout le monde regarde dans la même direction. En outre, tous les épisodes ont été enregistrés sans le son et nous avons dû doubler nos voix en post-production. Ce fut aussi un défi compte tenu des limites de la technologie à l’époque. Aujourd’hui, même si vous êtes en retard d’une fraction de seconde à la fin d’une scène, il est assez aisé de synchroniser les mots avec les images. Il y a 50 ans, c’était impossible. Quand nous faisions une erreur, il fallait tout reprendre à zéro. Je me souviens aussi des dialogues que nous devions mémoriser. Ils étaient remplis de kanji [caractères chinois] et de mots difficiles. Parfois, nous avions des problèmes à les lire (rires).