Depuis sa première diffusion en 1966, la série bénéficie d’une cote de popularité sans égale auprès des Japonais.
Les bonnes gens qui vivent à Soshigaya, un quartier calme de la banlieue de Tôkyô, peuvent dormir paisiblement. Ultraman veille sur le quartier. Une statue rouge et argent du super héros se dresse face à la gare de Soshigaya Okura, à côté du poste de police, pour effrayer les méchants. C’est ici que nous avons rencontré Q-chan Matsuo, l’un des meilleurs spécialistes d’Ultraman et animateur de Kôseki, le site de référence sur le sujet. Il a choisi Soshigaya pour notre rendez-vous, car c’est ici que se trouvaient les anciens studios de Tsuburaya Productions.
A quand remonte votre première rencontre avec Ultraman ?
Q-chan Matsuo : Je suis né la même année que la première série, mais je ne peux pas vraiment me souvenir du moment où Ultraman est entré dans ma vie. Cette série était si populaire que tous les enfants disparaissaient des rues au moment de sa diffusion. Tout le monde rentrait en courant pour regarder l’épisode de la semaine. Mes cousins plus âgés que moi étaient de ceux-là. J’ai beaucoup appris d’eux sur le sujet. J’ai aussi été particulièrement chanceux car ma famille possédait un téléviseur couleur – quelque chose de rare à l’époque – ce qui m’a permis de le voir en couleurs.
Parmi toutes les séries de la saga, quelle est votre préférée ?
Q. M. : La première. Peut-être parce qu’elle a eu une énorme influence sur ma génération ou en raison de sa qualité.
Par la suite chaque décennie a eu sa série Ultraman. Comment analysez-vous son évolution ?
Q. M. : Alors que les thèmes et l’histoire n’ont pas beaucoup changé, chaque série s’est adaptée à l’époque. Les années 1960, par exemple, étaient celles de l’optimisme. L’avenir était dégagé, l’homme allait sur la Lune, et les gens croyaient au rôle positif joué par la science et la technologie. Cela se reflète dans les premières séries. Mais une fois que nous sommes entrés dans la décennie suivante, nous avons connu le choc pétrolier et de nombreux problèmes liés à la pollution. Par conséquent, les histoires d’Ultraman sont devenues plus sombres et même les monstres sont devenus plus menaçants que leurs prédécesseurs.
Que pensez-vous de l’adaptation d’Ultraman sous forme de manga imaginée par Shimizu Eiichi et Shimoguchi Tomohiro (voir p. 10) ? Apparemment, elle est très populaire puisque chaque volume s’est vendu à environ 2 millions d’exemplaires.
Q. M. : Même si son point de départ rappelle le premier Ultraman, ce manga ressemble plus à une histoire de robots comme il en existe tant. Je ne peux pas dire que je l’aime vraiment. L’histoire, en elle-même, ne fait pas beaucoup sens. L’alter ego d’Ultraman, Hayata Shin, est un bureaucrate d’âge moyen qui ne se souvient pas des combats passés. Son fils possède des pouvoirs extraordinaires. Cela est très étrange parce que Hayata n’est qu’un être humain.
Votre site est un trésor d’informations sur Ultraman. Quand l’avez-vous lancé ?
Q. M. : Il y a environ 15 ans.
Que signifie son nom Kôseki et pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans un tel projet ?
Q. M. : Kôseki signifie littéralement “Trace de Lumière”. Je voulais enregistrer autant d’informations que possible avant de disparaître pour de bon. Tout a commencé quand je cherchais des informations en ligne sans pouvoir en trouver nulle part. J’ai donc décidé de le faire moi-même. C’est quelque chose que je veux laisser aux nouveaux fans d’Ultraman, à savoir les enfants aujourd’hui en primaire ou au collège qui savent peu ou rien des anciennes séries et des jouets qui en ont été dérivés. C’est un moyen de transmettre toutes ces connaissances aux jeunes générations.
D’après vous, pourquoi la série Ultraman a-t-elle réussi à conserver une telle base de fans ?
Q. M. : D’abord, Ultraman était une série très haute en couleurs pour l’époque. Prenons par exemple du travail de Jissôji Akio. Il est particulièrement célèbre pour avoir réalisé bon nombre d’épisodes d’Ultraman (1966-1967) et d’Ultra Seven (1967-1968). Il avait un style visuel distinctif. Mais plus encore, sa façon de raconter l’histoire était unique, en particulier pour une émission destinée aux enfants. [Il me montre un livre intitulé Ultraman no Tôkyô [Le Tôkyô d’Ultraman] écrit en 1993 par Jissôji]. Sur la couverture, vous pouvez voir le squelette d’un monstre mort. C’est tiré de l’épisode où, pour une raison qui reste obscure, ils doivent renvoyer le squelette vers sa planète. Voilà un exemple parmi d’autres pour le moins étrange.
Ultraman est aussi bien différent des autres super héros. Il ne voit pas le monde en noir et blanc. Tous les monstres qu’il combat ne sont pas mauvais. A certains moments, il compatit et fait face à de nombreux dilemmes moraux, notamment lorsqu’il doit lutter contre le seul survivant d’une planète détruite lors de l’essai d’une arme de destruction massive. Ceci, je crois, est l’une des principales raisons pour lesquelles tant d’enfants ont développé un tel attachement envers ce personnage. Peut-être qu’enfant, on n’est pas vraiment conscient de ces implications morales, mais en grandissant, on comprend et on a une meilleure appréciation de l’histoire. Il est aussi intéressant de noter l’attachement des fans de l’émission à l’égard des monstres. Ultraman est la seule série où les fans aiment les “ennemis” presque autant que leur super héros. Même les gens qui ne connaissent pas très bien la série peuvent citer au moins quelques monstres, comme Baltan ou Pigmon.
Propos recueillis par J. D.