Dans un registre pas si éloigné de la mort, un autre thème abordé dans le livre de Shiraishi Kazufumi porte sur les immenses dégâts que l’humanité, avec son développement et son avidité sans limites, inflige à la Terre. Comme Monsieur K. l’écrit dans son manuscrit, les hommes ne sont que des cellules cancéreuses. Cependant, la vision de Shiraishi Kazufumi n’est pas aussi sombre. Il rappelle qu’il ne pense pas que l’extinction humaine soit la seule façon de sauver la Terre. “Dans le passé, notre planète a été frappée quatre ou cinq fois par des météorites géantes, causant d’énormes catastrophes naturelles et l’extinction de nombreuses espèces animales”, raconte-t-il. “Certains phénomènes sont juste au-delà de notre compréhension et il y a très peu de chose que nous pouvons faire à moins que vous ne pensiez qu’une météorite puisse être arrêtée par une arme nucléaire comme dans Armageddon, le film de Michael Bay (1998 avec Bruce Willis et Ben Afflek). D’autre part, si nous voulons vivre en harmonie avec la nature, il existe des choses que nous pouvons accomplir au niveau de notre vie quotidienne. L’un d’elles consiste à arrêter de manger des animaux. Je suis sûr que vous avez lu que le gaz produit par les vaches et les moutons cause des dommages énormes à l’atmosphère. Si nous cessions de manger leur viande, ce serait une étape importante vers la préservation de notre environnement naturel. Il n’y a pas que cet aspect qui compte d’ailleurs. Selon certains scientifiques et même la religion orientale également, l’ADN de ces animaux est dangereusement proche de la nôtre, donc si les gens ne peuvent pas vivre sans viande, ils devraient au moins choisir quelque chose de différent, comme la volaille ou, mieux encore, le poisson. Devenir des végétaliens, ou des végétariens, serait bien sûr la solution idéale”, poursuit l’écrivain.
Les réflexions de Shiraishi Kazufumi à propos de la nourriture dépassent largement notre relation avec la nature et touchent notre style de vie et même l’avenir de l’humanité. “S’il fallait dire les choses plus simplement, je dirais que nous mangeons trop”, lance-t-il. “Et plus nous mangeons, plus notre désir sexuel baisse. Je pense qu’il y a une étroite relation entre la consommation excessive et la diminution de notre population. Il n’y a rien de mieux que le jeûne pour éveiller le désir sexuel des gens. C’est comme si notre corps, privé de nourriture et d’énergie, réagissait en essayant d’assurer au moins la survie de notre espèce en entrant en mode de reproduction. Si quelqu’un un jour me dit qu’il ne peut pas avoir d’enfant, je lui dirais qu’il doit essayer de moins manger.”
Vers la fin du manuscrit de Monsieur K., il y a une partie qui peut être lue comme un manifeste politique. Il est donc tout à fait normal de terminer notre entretien avec Shiraishi Kazufumi en lui demandant son avis sur la société japonaise actuelle. “La nation japonaise s’est développée de manière disproportionnée sur un territoire dont les limites sont relativement étroites”, assène-t-il. “Le Japon ressemble aujourd’hui à une personne quelque peu obèse. Par exemple, en raison du développement économique non contrôlé, nous avons maintenant de nombreuses centrales nucléaires dangereuses. Pendant de nombreuses années après la guerre, notre pays a été plutôt isolé du reste du monde. Pour ces raisons et quelques autres, le Japon est devenu un pays très étrange voire bizarre, et personne ne semble s’en soucier. Nous n’avons plus ni rêves ni objectifs. Par ailleurs, notre population baisse, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Bien que beaucoup de gens semblent être absents, cela ne veut pas dire qu’ils sont stupides. Peut-être que quelqu’un va finir par trouver une idée intelligente pour notre survie qui pourrait même être utile pour le reste du monde. Il sera intéressant de voir comment notre société va réagir et évoluer au cours des 20 prochaines années.”
J. D.
Références
Shiraishi Kazufumi est né en 1958 à Fukuoka, sur l’île de Kyûshû. Après des études d’économie à l’université de Waseda, à Tôkyô, il est embauché chez l’éditeur Bungei Shunjû pour travailler dans l’un de ses magazines. En 1992, sous le nom de Takiguchi Akira, il publie Madou asa qui lui vaut le prix Subaru. C’est en 2000 qu’il fait ses débuts sous son vrai nom. Huit ans plus tard, il écrit Kono yo no zenbu o tekini mawashite (Me Against the World, éd. Dalkey Archive Press, inédit en français). Il reçoit le prix Naoki en 2010 pour Hokanaranu hito he [Pour l’autre incomparable, inédit en français]