Où habitez-vous maintenant ?
N. F. : A Tôkyô.
Vous y plaisez-vous ?
N. F. : Je me suis installé dans la capitale, car je préfère habiter soit dans une métropole, soit dans un coin très tranquille. Je n’aime pas ce qui est entre les deux. J’ai choisi Tôkyô, car j’aime les villes qui bougent. Elle est tellement peuplée que même les personnes les plus originales se fondent dans la foule et peuvent y vivre sans susciter les regards interrogateurs.
Vous sortez beaucoup ?
N. F. : Non, je n’en ai pas vraiment l’occasion ces derniers temps. Mais il m’arrive de rencontrer de jeunes auteurs pour discuter autour d’un verre. Ce sont des écrivains de tous genres qui ont plus ou moins le même âge. À chaque fois, on commence par parler de tout et de rien pour finir par discuter de littérature. A ce moment-là il est très tard et il ne reste plus que quelques personnes. (rires) A Paris, je suis allé au café des Deux magots. J’admire cette culture de rencontres intellectuelles qui donnent lieu à de grandes discussions. Mais j’avoue que nos rendez-vous tokyoïtes ne sont pas aussi élégants. On boit dans un izakaya plutôt que dans un café parisien. (rires)
Que vous apportent ces rencontres ?
N. F. : Le travail d’écrivain est habituellement très solitaire. Le fait de savoir qu’il existe d’autres personnes exerçant ce métier dans la même ville me soulage.
Comment voyez-vous l’évolution du Japon sur le plan politique ?
N. F. : La droitisation m’inquiète avec son exaltation du passé tel que celui de la Seconde Guerre mondiale. Comme je suis influencé par Sartre et Ôe Kenzaburô lui-même influencé par cet écrivain-philosophe français, je me sens obligé de participer au débat politique et je n’hésite pas à le faire. Je risque bien sûr d’être critiqué, mais pour le moment je m’en sors. J’ai la certitude que j’en apprends plus que ceux qui pourraient s’en prendre à moi.
Vous ne craignez pas d’être catalogué…
N. F. : …de gauche ? J’appartiens à la gauche modérée. Pourtant aujourd’hui au Japon, que l’on soit modéré ou pas, si on n’est pas de droite, on est étiqueté sayoku, de gauche. Ici, la gauche et la droite sont tellement mêlées qu’on ne comprend plus quelle idée est de gauche ou de droite. Je me demande s’il existe un pays aussi bizarre dans le monde. Quoi qu’il arrive, tant que je suis conscient de mon métier et de mon rôle, j’ai décidé de ne pas me défiler.
Est-ce que votre positionnement politique a une influence sur les ventes de vos livres ?
N. F. : Pour le moment non. Mais quoi qu’il arrive, il faut continuer à dire ce qu’on a à dire avant qu’il ne soit trop tard, avant que la situation pèse sur mes activités. Je pense souvent à cette citation de Martin Niemöller selon laquelle “quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, ….. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester”. C’est maintenant qu’il faut réagir, quand les premiers indices du totalitarisme font leur apparition.
Au sein de votre génération, y a-t-il d’autres auteurs qui s’expriment sur des sujets politiques ?
N. F. : Hirano Keiichirô. Il a deux ans de plus que moi. Nous sommes peut-être les deux seuls à le faire activement. Ces dernières années, puisque la situation politique s’est aggravée, je vois un peu plus d’écrivains qui se lèvent. Mais à ma connaissance, ils sont tous plus âgés que nous. Quand on se retrouve à deux, avec Hirano, on s’inquiète de l’avenir du pays et on se dit qu’il faudrait faire quelque chose, autre chose que d’écrire. Mais on ne sait pas encore quoi…
La priorité du gouvernement est aujourd’hui d’attirer les touristes étrangers. D’après vous, quelle devrait être la véritable priorité ?
N. F. : Je crois qu’il faut faire une synthèse des événements liés à la la Seconde Guerre mondiale, en éclaircissant ce qui s’est passé et comment le Japon s’est vraiment comporté. Une fois que ce sera fait, tout sera beaucoup plus simple.