Vous vous êtes également impliquée dans la traduction de livres illustrés. Avez-vous toujours été intéressée par le travail de traduction ?
K. M . : Oui. J’ai toujours été intéressée par la traduction d’autres langues en japonais. Et j’aime aussi la langue anglaise. Je n’ai pas une grande capacité linguistique, mais cela vient probablement du fait que c’est la première langue étrangère avec laquelle j’ai été en contact. En faisant des efforts, je devrais parvenir par comprendre, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qui vous semble difficile lorsque vous vous lancez dans une traduction ?
K. M . : Pour les livres d’images, le texte est très simple. C’est pourquoi, plutôt que d’essayer de rendre ce qui se dit aussi précisément que possible, il faut plutôt écouter la voix de ce qui est écrit, puis créer un nouveau rythme en japonais. C’est là où réside la difficulté.
Vous participez également à de nombreux jurys littéraires. Y a-t-il une raison particulière qui vous motive à le faire ?
K. M . : L’une des principales raisons est liée au fait que trop peu de gens veulent le faire. Une autre raison dont j’ai pris conscience depuis que j’ai commencé à participer à ces jurys, c’est le côté fascinant de cette activité. En particulier les prix décernés aux nouvelles plumes où des écrivains amateurs soumettent leurs œuvres. Cela permet vraiment de saisir directement comment évoluent la nature de la littérature et le roman lui-même avec le temps. Par exemple, après les événements de mars 2011, rien ne s’est pas passé immédiatement. Mais 2 ou 3 ans après, la nature même des romans semble avoir changé. Être en mesure de voir et de sentir cette évolution est quelque chose de très stimulant pour quelqu’un qui est également écrivain.
Quels changements avez-vous justement pu constater ?
K. M . : J’ai noté en particulier une tendance vers le fantastique qui s’éloignait légèrement de la réalité. Il ne s’agissait pas du fantastique pur en tant que tel, mais ce n’était pas non plus le monde réel dans lequel nous vivons. J’ai vu ainsi augmenter le nombre d’histoires se déroulant dans des endroits où la réalité et les règles sont légèrement différentes de ce que nous connaissons. Il y a une dizaine d’années environ, la plupart des œuvres avaient un fort goût de réalisme. Elles se déroulaient dans un contexte très mondain et le personnage principal était un jeune travailleur précaire bossant dans une supérette et entretenant une relation mal définie avec quelqu’un que vous ne pouvez pas vraiment appeler un partenaire stable, etc. Je trouve que c’est un phénomène intéressant de voir comment ce genre d’histoire a disparu presque complètement après 2011.
Je me demande bien pourquoi on est passé dans cet univers un peu fantastique. Est-ce peut-être lié au fait que les gens ont pris conscience que tout pouvait disparaître en un instant malgré le soin apporté aux constructions dans le monde réel.
K. M . : Je pense que cela a quelque chose à voir avec cela. Auparavant, lorsque les auteurs décrivaient des choses identiques à la réalité dans laquelle ils étaient plongés, ils pensaient probablement que cet état des choses perdurerait à jamais. Mais en vérité, ce n’est pas du tout le cas et quand ils ont compris que tout pourrait disparaître en un instant, cela a vraiment changé la perception que les auteurs avaient sur le roman, en particulier les plus jeunes. Six années se sont écoulées depuis cette catastrophe et les choses continuent à évoluer lentement. Je suis très heureuse de pouvoir en être témoin.
Propos recueillis par Hara Satomi
Références
Kakuta Mitsuyo est née en 1967 à Yokohama. Elle a fait ses études à l’université de Waseda, à Tôkyô. Elle commence à écrire lorsqu’elle est étudiante. Elle est distinguée pour la première fois en 1990. Elle reçoit le prix Kaien des jeunes auteurs pour Kôfukuna yûgi [Jeu heureux, inédit en français). Elle sera ensuite récompensée par le prix Noma en 1996 puis le prix Naoki en 2004 pour La Femme sur l’autre rive (Taigan no Kanojo, trad. par Isabelle Sakai, éd. Actes Sud). Trois ans plus tard, son roman La Cigale du huitième jour (Yokame no semi, trad. par Isabelle Sakai, éd. Actes Sud, 2015) est couronné par le prix Chûô Kôron. Il est adapté au cinéma en 2011. Plusieurs de ses œuvres ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques. En France, Actes Sud a aussi publié La Maison dans l’arbre (Tsurî Hausu, trad. par Isabelle Sakai, 2014).