Est-ce que votre maison a été touchée par le tremblement de terre ?
F. H. : Elle a été endommagée par les secousses, mais pas au point de devoir être reconstruite. Pour mes parents ça a été très dur car ils n’ont pas eu droit à un seul yen ni de la part des assurances, ni de la part de l’Etat. Ils ont dû payer toutes les réparations de leur poche. Comme si cela ne suffisait pas, ma famille est spécialisée dans la culture des champignons shiitake. Ces derniers absorbant énormément les substances radioactives dont le césium, ils ont donc dû détruire toute la récolte. Les deux premières années après le désastre ont été extrêmement dures pour eux.
Vous revenez souvent chez vous ?
F. H. : Environ six fois par an. En réalité, je rentre à Kôriyama, où j’ai toujours beaucoup d’amis, mais je ne me montre pas trop à la maison (rires). Au cours de ces dernières années, j’ai essayé de faire mon possible pour contribuer à la reconstruction. Les gens du Tôhoku sont repliés sur eux-mêmes, ils sont fermés et ne parlent pas facilement, alors qu’ils devraient exprimer leur rage et leur désespoir après ce qui s’est passé en 2011. En 2013, j’ai créé avec des amis une école d’été ouverte à tout le monde. Nous y enseignons la littérature et les différentes façons de traduire avec des mots nos sentiments et nos émotions. L’expérience a été un succès.
L’année dernière, le gouvernement a déclaré que les habitants de Katsurao et d’Itate, deux villages proches de la centrale de Fukushima, pouvaient rentrer chez eux car les radiations ont diminué à un niveau ne représentant plus de dangers. Qu’en pensez-vous ?
F. H. : Je crois que, dès le début, le gouvernement n’aurait pas dû obliger tous ces gens à partir. Ce qu’on demande à un gouvernement, c’est de fournir des informations claires sur les niveaux radioactifs et sur les dangers encourus par ceux qui décident de rester. Ceci dit, chacun aurait dû décider librement de rester ou de partir. Les autorités ne devraient pas interférer, c’est une décision personnelle. Finalement, certaines personnes auraient préféré mourir chez eux, proches des choses familières, proches du tombeau de leurs ancêtres, plutôt que de s’éteindre à feu doux dans des refuges provisoires, loin de leur monde. Pour cela, le comportement du gouvernement a été inacceptable.
Je devine donc que selon vous le gouvernement japonais n’a pas fait assez pour les victimes de Fukushima…
F. H. : Bien sûr que non. Je ne peux pas oublier leur façon de cacher la vérité et tous les discours machiavéliques employés pour éviter d’avouer leurs fautes et décharger la responsabilité sur les autres. Il y a des gens qui sont venus des quatre coins du Japon et du monde entier pour aider ma région. Seul le gouvernement s’est accroché à la bureaucratie pour ne pas se salir les mains.
Revenons à votre roman. Après la violence, la mort et la destruction dont vous vous faites le témoin, il me semble que le livre se termine sur une note d’espoir…
F. H. : Il me semble que revivre ensemble cette expérience, peut servir à éviter les mêmes erreurs dans le futur. Je suis aussi convaincu qu’un livre a le devoir de laisser aux lecteurs un message d’espoir. Même s’il s’agit d’histoires tragiques. Il faut toujours regarder le futur avec optimisme.
Propos recueillis par Jean Derome
Références
Furukawa Hideo est né en 1966 à Kôriyama où il a passé toute sa jeunesse.
A l’adolescence,
il prend goût au théâtre. Il suit des cours de littérature à l’université de Waseda, mais ne va pas au bout de ses études.
Il commence à travailler dans une maison d’édition avant de se lancer dans l’écriture en 1994. En 2002, il décroche deux prix littéraires grâce à Arabia no yoru no shuzoku [La tribu de la nuit arabe, inédit en français]. Trois ans plus tard, c’est le prestigieux prix Naoki qui lui est décerné pour Alors Belka, tu n’aboies plus ? (Beruka, hoenai no ka?, trad. par Patrick Honnoré, éd. Philippe Picquier, 2012). Après le bon accueil reçu par ce premier roman traduit, son éditeur français publie l’année suivante. Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente (Umatachiyo, Soredemo Hikari wa Maku de, trad. par Patrick Honnoré). Sa dernière œuvre toujours traduite par Patrick Honnoré parue en France est Soundtrack (Soundtrack, éd. Philippe Picquier, 2015).