On ne peut pas évoquer la culture pop sans aborder le phénomène des idoles (aidoru). Yuriko et Amina, elles, ont réussi à percer.
L’histoire des idoles au Japon est fascinante. Elle remonte à 1964 après le succès du film français Cherchez l’idole avec Sylvie Vartan, dont la chanson du générique s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires dans l’archipel. Depuis, ce terme est appliqué aux jeunes vedettes dont la popularité dépend plus de leur apparence et leur personnalité que de leur talent d’interprète. Les filles, en particulier, sont souvent associées à une image idéalisée de la femme pure, innocente et chaste, dont l’amateurisme artistique, loin d’être un problème, les rend encore plus attachantes pour leurs fans. Des milliers de jeunes filles rêvent de devenir célèbres. Parmi elles, on compte de nombreuses étrangères. Nous avons rencontré deux d’entre elles, l’Italienne Yuriko Tiger et l’Américaine Amina du Jean. Leurs histoires ont beaucoup de points en commun, y compris dans le fait qu’elles tentent aujourd’hui de briser le moule des idoles pour trouver leur propre voie vers le succès.
Yuriko Tiger
D’où vient votre nom ?
Yuriko Tiger : Yuriko est inspiré par un personnage du jeu vidéo Bloody Roar. J’ai toujours aimé ce prénom. Tiger est une sorte de jeu de mots basé sur Taiga, personnage de la série Toradora! Ça rappelle aussi mon côté rebelle. On peut dire que Yuriko montre mon côté doux et délicat, et Tiger, ma détermination à réussir au Japon.
Comment y êtes-vous arrivée ?
Y. T. : Je voulais devenir une icône pop dans ce pays. Je savais que réaliser mon rêve en tant qu’étrangère était presque impossible, mais j’ai tout de même voulu essayer. J’ai eu cette envie à partir du moment où j’ai découvert le manga et l’anime à l’âge de 10 ans. Mon père m’achetait beaucoup de BD et de jeux vidéo. Je pense que j’ai joué pour la première fois à Tekken quand j’avais trois ans. Puis je suis tombée amoureuse de Sailor Moon, mais c’est avec Inu-Yasha [éd. Kana] et toutes les autres œuvres de Takahashi Rumiko lues vers l’âge de 8-9 ans que j’ai définitivement basculé dans la culture otaku. Je me suis mise à dessiner du manga. Plus tard, je me suis intéressée à la musique et à la mode japonaise à travers YouTube, Internet et le mensuel aujourd’hui disparu Benkyo, le premier magazine italien qui a abordé en profondeur les différents aspects de la culture pop japonaise. J’étais fasciné par le cosplay, mais je pensais que c’était seulement réservé au Japon. J’ai donc été frappée lorsque, à 13 ans, je suis allée au Festival Lucca Comics où j’ai vu des cosplayers italiens. C’était la plus belle chose que j’avais jamais vue. J’ai donc commencé à faire mes premiers costumes et à participer à des concours nationaux.
Comment a réagi votre famille ?
Y. T. : Au début, ils ne m’ont pas prise au sérieux. Ils ont changé d’avis lorsqu’au lycée, j’ai pris un emploi à temps partiel pour me payer un voyage au Japon. Je suppose qu’ils ont alors compris ma détermination et ils ont commencé à me soutenir activement.
Le Japon était vraiment le pays des merveilles dont vous aviez toujours rêvé.
Y. T. : J’étais au paradis. Mais les choses ont changé quand est venu le temps de signer un contrat. J’ai alors découvert un autre côté de la culture japonaise que je ne connaissais pas du tout. Ainsi l’agence, qui avait parrainé mon visa de travail, m’a demandé de quitter l’école parce que désormais mon travail était prioritaire. On m’a dit de quitter la colocation où j’avais vécu jusqu’alors pour une résidence beaucoup plus chère. Par ailleurs, je devais demander l’autorisation chaque fois que je voulais sortir avec mes amis. Et surtout, j’avais l’interdiction absolue d’avoir un petit ami. Puis l’agence a essayé de faire de moi une idole gurabia, c’est-à-dire un mannequin en bikini. Mon premier travail a été pour Playboy Japan. Les responsables étaient un tas de chauvinistes extrêmement riches et mal élevés. Ils ont essayé de me forcer à poser nue. Un soir que nous étions en boîte, en réponse à leurs menaces, j’ai renversé la table de colère. Après cet incident, ils ont voulu me mettre en quarantaine. J’ai quitté l’agence et commencé à travailler avec mon manager actuel qui a quitté son emploi pour se consacrer à ma carrière.
Comment avez-vous percé ?
Y. T. : C’est arrivé par hasard. J’étais allée en Italie pour un engagement et à mon retour au Japon, j’ai été interviewé à l’aéroport de Narita pour l’émission de télévision populaire Why Did You Come to Japan ? Finalement les 25 minutes du programme m’ont été consacrées. Ils ont montré mon petit appartement, y compris ma vaste collection de cosplay. Nous sommes allés ensemble dans un maid café [café où les serveuses portent des uniformes de domestique]. Enfin ils ont évoqué mon travail au World Cosplay Summit à Nagoya. A l’époque, j’avais environ 1 000 followers sur Twitter. A la suite de la diffusion de l’émission, je suis passée à 10 000 [elle en compte actuellement près de 36 000]. L’année suivante, en 2015, a été celle du décollage puisque j’ai été engagée à la télévision comme talento [personnalité qui apparaît dans les émissions], j’ai enregistré mon premier single et j’ai finalement été reconnue comme un cosplayer professionnelle. C’était très important pour moi parce que, au Japon, les cosplayers étrangères ne sont jamais rémunérées en tant que tel.
Vous n’êtes donc plus en contact avec la scène otaku italienne ?
Y. T. : Si toujours. L’année dernière, j’ai dû faire une pause dans mon travail au Japon en raison d’un problème de visa. J’ai alors passé quelques mois en Italie où j’ai participé à une quinzaine d’événements otaku à travers le pays.
Puisqu’on parle de visa, avez-vous eu des difficultés à obtenir le vôtre ?
Y. T. : Obtenir un visa pour ce genre de travail n’était pas compliqué dans la mesure où j’étais parrainée par une agence. Le problème, cependant, est qu’il existe de nombreuses restrictions sur le type d’emplois que vous pouvez effectivement faire. C’est pourquoi la plupart des étrangères qui travaillent dans ce secteur sont soit mariées à des Japonais ou sont d’origine japonaise. Ils n’ont pas besoin de visa. Je suppose que je suis la seule talento étrangère ayant atteint un certain niveau de célébrité dans ce pays.
Décrivez-nous une semaine de travail typique.
Y. T. : Comme vous pouvez l’imaginer chaque jour est différent, mais il y a invariablement des réunions. Pas moins de 3 à 4 réunions hebdomadaires pour discuter des engagements à venir. Les week-ends sont consacrés à la photo et à la vidéo, des événements de cosplay et autres. Ensuite, 3 à 4 fois par mois, je me rends à Sendai, dans le nord-est du pays, pour travailler sur un nouveau projet de musique avec Samurai Apartment, un groupe qui mêle instruments traditionnels japonais et musique pop.
N’aimeriez-vous pas avoir plus de temps libre ?
Y. T. : Pas du tout ! J’aime être occupée. En avril, par exemple, j’ai eu toute une semaine libre, mais j’ai tout de même réussi à trouver quelque chose à faire. Si j’ai trop de temps libre, je m’ennuie. Donc, plus je travaille, mieux c’est.
Propos recueillis par G. S.