Pourquoi vous êtes-vous installée à Tôkyô en 2007 ?
S. S. : Tout d’abord parce que j’adore les mangas et les anime, et que Tôkyô est évidemment la capitale de l’otakisme dans le monde. C’est un endroit très bouillonnant qui offre beaucoup d’opportunités, y compris au niveau de l’emploi. Il suffit de se rendre dans des événements liés aux mangas ou à l’anime pour rencontrer des gens et prendre des contacts importants qui peuvent déboucher sur un travail. Particulièrement dans le domaine de la traduction, les occasions de travailler sur des projets intéressants ne manquent pas. Plus important encore, il est plus facile de vivre au Japon de la traduction. En Italie, vous pouvez être le meilleur, mais toute votre expérience professionnelle et votre expertise ne vous rendent pas pour autant plus riches. Les Japonais payent certainement mieux, bien que les honoraires de traduction de manga aient récemment baissé un peu partout. Cela dit, je travaille encore beaucoup pour des éditeurs italiens, notamment Planet Manga Panini, pour lesquels je traduis généralement 3 à 4 mangas par mois. Il est indispensable d’entretenir de nombreuses relations de travail parce que, en particulier dans le secteur de l’anime et du cinéma, je ne sais jamais quand arrivera un nouveau travail en dehors de quelques événements réguliers comme les festivals de films internationaux.
Quelles sont les différences fondamentales entre la traduction de manga et celle d’anime ?
S. S. : Cela n’a pas grand-chose à voir. Lorsque vous traduisez pour l’écran, vous devez clairement transmettre le sens et vous devez être concis parce que vous êtes limité par le nombre de mots à utiliser dans les sous-titres. Environ 40 caractères par ligne. Cela peut s’avérer délicat dans la mesure où l’italien est une langue parlée. Avec le manga, vous avez plus d’espace pour exprimer quelque chose et, si nécessaire, vous pouvez même ajouter une note pour mieux expliquer certaines choses. En outre, vous travaillez avec un éditeur avec qui vous pouvez toujours trouver la bonne solution. C’est une sorte de filet de sécurité. Lorsqu’il s’agit d’un anime, vous êtes votre propre éditeur. Personnellement, je suis puriste et même lorsque je travaille sur un anime ou un film, j’essaie de rester aussi fidèle que possible à la phrase originale. D’autres modifient parfois complètement la phrase afin de faciliter la compréhension.
Je suppose que la traduction du japonais vers une langue occidentale est loin d’être évident.
S. S. : Oui, surtout lorsque vous traduisez en italien, langue très précise, alors que le japonais peut être vague et ambigu. L’anglais à cet égard est à mi-chemin entre le japonais et l’italien et est mieux adapté pour la traduction de manga que l’italien. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que nos onomatopées trouvent leur origine dans les bandes dessinées américaines. Il existe aussi des expressions que les Japonais utilisent tout le temps, comme par exemple “yoroshiku onegai shimasu”, que nous ne disons jamais en Italie. Heureusement, les amateurs de manga connaissent beaucoup la culture et les coutumes japonaises, et ils sont désireux d’apprendre de nouveaux mots et concepts, ce qui rend mon travail un peu plus facile.
Quel titre avez-vous trouvé particulièrement difficile à traduire ?
S. S. : Ghost in the Shell a été un véritable défi, une sorte de baptême du feu, car ce fut l’une de mes premières traductions pour Kappa Magazine. Dans son récit, Shirow Masamune évoque sans arrêt Internet. Le problème était qu’à l’époque la plupart des gens ne savaient même pas ce qu’était Internet, alors quand je devais traduire une phrase comme “le Net est vaste et infini”, je me retrouvais devant des difficultés. J’ai passé des heures au téléphone avec un ami qui était un expert en informatique pour essayer de comprendre moi-même de quoi diable Shirow parlait (rires). J’ai créé de nombreux néologismes qui, j’espère, étaient assez proches des termes japonais originaux. D’un autre côté, j’ai du mal à travailler sur certains mangas shôjo [destiné à un lectorat de fille] car, au bout de quelques pages traduites, je ressens généralement une envie incontrôlable d’étrangler la protagoniste (rires). Vous avez toujours des jeunes filles mortes d’inquiétude pour un oui ou pour un non. Hachi, l’héroïne de Nana [éd. Akata/Delcourt] de Yazawa Ai, appartient à cette catégorie. Elle m’a tout simplement rendue folle au début de l’histoire. Heureusement, elle a repris progressivement du poil de la bête, et je me suis mise à l’apprécier également.