Récemment, quelqu’un sur Internet ironisait sur la vaste portée de cette loi qui, si elle était appliquée scrupuleusement, pourrait mettre dans l’embarras le gouvernement et les grandes entreprises notamment pour ce qu’ils ont fait avant et après l’accident nucléaire à la centrale de Fukushma Dai-ichi.
H. K. : Cependant, il faut savoir que les politiciens et les entreprises sont exclus du champ d’application de la loi. Seuls les individus et le crime organisé peuvent être poursuivis.
Le plus étonnant cependant concernant le gouvernement Abe, c’est que malgré les scandales et les controverses, il a conservé pendant longtemps un fort crédit auprès de l’opinion publique. Ce n’est que très récemment que sa cote de popularité a commencé à s’effondrer.
H. K. : Tout d’abord, Abe Shinzô a eu la chance d’arriver au pouvoir après la chute du gouvernement tenu par le Parti démocrate (PDJ). En réalité, le PDJ n’était pas si mauvais, mais le fait est que l’électorat en avait une impression négative. Après la défaite du PDJ aux élections de décembre 2012, l’opposition au Parti libéral-démocrate (PLD) d’Abe Shinzô a été quasi inexistante au point de devenir inutile. Une autre raison de la popularité apparente d’Abe est que, jusqu’à présent, les scandales que vous avez mentionnés ont rarement fait l’actualité, car de nombreux journaux et chaînes de télévision craignaient trop d’affronter le gouvernement dirigé par le PLD. Ce n’est pas un hasard si sa récente baisse de popularité s’est produite après que quelques médias ont finalement commencé à s’interroger sur le bien fondé de la politique gouvernementale.
Alors que vous êtes probablement mieux connu comme romancier, vous êtes l’auteur de nombreux essais, y compris des ouvrages sur la Constitution et les discours haineux. A ce propos, que pensez-vous du scandale entourant les soupçons de favoritisme d’Abe envers Moritomo Gakuen ?
H. K. : En apprenant la nouvelle, j’ai été choqué qu’une telle école puisse exister au Japon. Moritomo est directement lié au groupe nationaliste Nippon Kaigi [voir Zoom Japon n°67, février 2017] et endoctrine ses élèves avec une sorte d’idéologie anti-chinoise et coréenne qui transpire le discours haineux. Ce type d’éducation est généralement en vogue dans les régimes dictatoriaux d’Amérique latine ou d’Afrique. Je n’aurais jamais cru qu’une telle chose arriverait au Japon au cours de ma vie.
Ailleurs, un scandale d’une telle ampleur se traduirait par la chute du gouvernement.
H. K. : Exactement. Le problème au Japon est que la plupart des gens sont indifférents et apathiques devant les problèmes politiques et sociaux. C’est pourquoi il est très important que les journalistes fassent leur travail en informant les gens et en pointant du doigt les autorités chaque fois qu’il y a un problème. Je suis certain que beaucoup de gens ne comprennent même pas ce que recouvre la loi anti-conspiration. Certes, ce ne sont pas des problèmes simples, il faut donc faire beaucoup d’efforts pour vraiment comprendre ce que les politiciens essaient de faire.
Pensez-vous que les jeunes générations sont en mesure de faire bouger les choses au Japon ?
H. K. : Elles le devraient en tout cas parce que leur vie va être inévitablement affectée. C’est dans leur intérêt de faire mieux. Malheureusement, même les jeunes, vingtenaires ou trentenaires, ne manifestent pas beaucoup leur engagement. En fait, seule une minorité de jeunes politiquement engagés manifeste devant la Diète. Et loin de Tôkyô, la situation est encore pire. La seule solution est de changer le système de telle façon que les jeunes se sentent de nouveau en phase avec les sujets de société.
Propos recueillis par J. D.
références
Hirano Keiichirô est né en juillet 1975. Influencé par Mishima Yukio, Mori Ôgai ou Mircea Eliade, il obtient en 1999 le prix Akutagawa pour L’Éclipse (Nisshoku, éd. Philippe Picquier). En France, Philippe Picquier a publié Conte de la première lune (Ichigetsu Monogatari) et La Dernière Métamorphose (Saigo no henshin). En avril 2017, Actes Sud a fait paraître Compléter les blancs (Kûhaku o mitashi nasai) dans une traduction de Corinne Atlan qui a aussi traduit ses autres ouvrages.