La pauvreté et la précarité gagnent du terrain au Japon. C’est ce que dénonce avec vigueur Amamiya Karin.
Kôenji , quartier à l’ouest de Tôkyô, est célèbre pour attirer de nombreux agitateurs culturels et sociaux. Ce n’est pas par hasard si les manifestations antinucléaires à la suite du 11 mars 2011 (voir Zoom Japon n°10, mai 2011) ont commencé ici. Née en 1975 et appartenant à ce qu’on appelle la “génération perdue” (rosujene) japonaise, Amamiya Karin a été la chanteuse du groupe punk ultranationaliste, The Revolutionary Truth, mais s’est faite connaître au cours des 15 dernières années comme écrivaine prolifique et militante en faveur des travailleurs pauvres. Elle a abordé de nombreux sujets comme le harcèlement, la régression sociale et le suicide, mais par cet après-midi chaud de juillet, nous nous sommes mis à réfléchir sur la nouvelle poussée de pauvreté qui frappe le Japon.
Ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est qu’entre l’âge de 19 et 24 ans, Amamiya Karin a travaillé comme furitâ [freeter : néologisme forgé à partir du terme anglais free et du mot allemand arbeiter pour désigner des personnes qui ne trouvent pas ou ne veulent pas un emploi à temps plein] et connaît parfaitement les problèmes qu’elle aborde souvent. “Je suis née à Hokkaidô, mais je me suis installée à Tôkyô en 1993”, raconte-t-elle. “Je voulais faire des études d’art, mais j’ai échoué à l’examen d’entrée. Je me suis inscrite dans un yobikô [boîte à concours]. Mais j’ai finalement renoncé à mon rêve en 1994 et j’ai commencé à chercher un emploi à la place. Malheureusement, la situation économique étant difficile, trouver un boulot décent relevait de la gageure. Finalement, j’ai enchaîné les petits boulots mal payés, comme assistante commerciale ou serveuse. Plus tard, j’ai même travaillé dans un bar à hôtesses, car c’était plus rémunérateur.”
Au bout de quelques années, la vie d’Amamiya et de ses amis était si difficile qu’ils pensaient ne jamais pouvoir s’en sortir. “Imaginez faire un boulot peu qualifié et fastidieux, mal payé et qu’on peut vous retirer à tout moment. C’était en fait une pratique illégale, mais nous ne le savions pas à l’époque. Nous avions l’habitude de dire à moitié en plaisantant qu’une fois nos parents disparus, nous finirions probablement dans la rue”, se souvient-elle. “Il suffisait de s’absenter quelques jours à cause d’un mauvais rhume pour ne pas avoir assez d’argent pour payer le loyer ou la facture de gaz. A l’époque, je pensais vraiment que je deviendrais SDF.” A l’époque, la plupart des gens pensaient que les furitâ étaient des esprits libres qui refusaient de chercher un emploi à temps plein, mais Amamiya Karin se sentait tout sauf libre. “Nous ne pouvions tout simplement pas échapper à notre situation. Et, nous étions considérées comme des personnes sans attache et sans aucun sens du devoir social, et ne se souciant pas de leur avenir. C’était comme un mantra et, finalement, j’ai commencé à croire à ces paroles. J’ai commencé à penser qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans nos têtes.”
Mais au début des années 2000, elle a changé d’avis en commençant à s’impliquer dans un militantisme social. “Je me suis intéressée à ce sujet en 2006, dit-elle. En 2000, j’avais quitté ma “carrière”de furitâ pour devenir écrivain. Je suis tombée sur le mot “précariato” [terme italien pour désigner un travail temporaire ou occasionnel] sur Internet et cela m’a rappelé ma situation antérieure. J’ai donc décidé de participer au rassemblement organisé le 1er mai 2006 par un syndicat de furitâ. C’est là que je me suis rendue compte à quel point le néolibéralisme et la mondialisation avaient fait du marché du travail un cauchemar. Avant, j’avais déjà le sentiment que les gens qui m’entouraient souffraient et se suicidaient non seulement à cause de problèmes personnels, mais aussi en raison du chômage structurel. Mais en ce 1er mai, entourée de personnes qui partageaient les mêmes problèmes que moi, j’ai vu combien d’entre nous avaient été laissés pour compte. C’étaient des gens à qui les classes privilégiées avaient dit qu’ils devaient s’en prendre à eux-mêmes et non à l’État ou aux grandes entreprises pour leurs conditions de vie. C’est ce qui m’a décidée à épouser leur cause.”