L’un des principaux défis que le Japon va devoir relever dans les années à venir concerne la situation précaire des enfants.
La Nippon Foundation (Nippon Zaidan) est une organisation privée à but non lucratif dont la mission est de financer des activités philanthropiques et d’aider le travail humanitaire au Japon et à l’étranger. Hanaoka Hayato, un de ses membres a évoqué avec Zoom Japon ses programmes de protection sociale et de l’enfance.
Vous êtes l’un des auteurs du livre La Pauvreté des enfants peut détruire le Japon (2016). C’est un titre assez alarmant. De quoi parle cet ouvrage et pourquoi pensez-vous que nous devrions être tellement préoccupés par la pauvreté chez les enfants ?
Hanaoka Hayato : Ce livre concerne principalement les coûts sociaux de la pauvreté infantile. Tout le monde est évidemment préoccupé par les enfants qui vivent dans de mauvaises conditions, mais pour la plupart des gens, cela ne va jamais au-delà d’une réaction émotionnelle. Personne ne connaît vraiment les coûts de cette situation et pourquoi nous devons y remédier. Des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis ont étudié cette question au cours des 20 à 30 dernières années, et il y a quelques années, nous avons décidé de faire le même type d’étude, à un moment où le taux de pauvreté chez les enfants atteignait 16,3% (c’est-à-dire un enfant sur six vivant dans un foyer pauvre). La plupart des gens sont touchés parce qu’ils ont des enfants, mais en même temps ils estiment que c’est le problème des autres. Notre objectif était de montrer que c’est en réalité le problème de tous.
Pour répondre à votre question sur la raison pour laquelle nous devrions être tous concernés, selon notre enquête, la pauvreté des enfants coûtera 2 900 mille milliards de yens au pays. À l’heure actuelle, la population et le marché du travail se rétrécissent. Dans une telle situation, la pauvreté infantile aura un impact négatif énorme sur l’économie japonaise. C’est pourquoi c’est maintenant que nous devons agir.
Pouvez-vous être plus précis ?
H. H. : Si vous regardez le niveau scolaire, les enfants issus de familles pauvres ont généralement moins de bonnes notes que les autres. Ceci est particulièrement perceptible chez les collégiens et les lycéens au moment où les élèves s’entraînent à préparer les examens d’entrée difficiles. La plupart des enfants issus de ménages défavorisés (par exemple, les familles monoparentales) ne peuvent pas se permettre de fréquenter les boîtes à concours. En conséquence, ils finissent par aller dans une école moins prestigieuse et souvent n’entrent pas à l’université. Tout cela se reflète dans le genre d’emplois moins rémunérés qu’ils trouvent habituellement après l’obtention de leur diplôme. Lorsque vous vous projetez dans le futur, cela signifie que le revenu national et les revenus fiscaux vont diminuer dans un avenir pas si lointain.
Je pense que ces personnes auront plus de mal à se marier et à fonder une famille.
H. H. : C’est un problème délicat parce que certaines données montrent que les personnes pauvres se marient plus et ont relativement plus d’enfants. Bien sûr, cela renforce le cycle vicieux, car avec plus d’enfants et moins d’argent à leur consacrer, chaque enfant sera désavantagé par rapport aux enfants issus de familles plus riches.
Le Japon est la troisième puissance économique mondiale et pourtant il a un des taux de pauvreté les plus élevés. Pourquoi donc ?
H. H. : Tout d’abord, le Japon est peut-être la troisième puissance économique, mais le pays n’a pas connu une croissance économique soutenue réelle depuis 30 ans. Deuxièmement, et en conséquence du premier point, les gens reçoivent moins d’argent. Enfin, il y a une disparité croissante entre les employés réguliers et les employés contractuels. Ces derniers ont un salaire moindre sans autres avantages et pour un ménage monoparental c’est une situation particulièrement grave. Dans la plupart des cas, le parent célibataire est une mère divorcée. Les femmes sont aussi moins payées que les hommes. De plus, elles ne reçoivent souvent aucune pension alimentaire en raison de la faiblesse des lois sur le divorce. En général, le parent qui n’en a pas la garde (souvent le mari) devrait contribuer à l’éducation de l’enfant. Malheureusement, cela n’est pas toujours appliqué et la femme ne peut rien faire à ce sujet. Si on considère tous ces éléments, le gouvernement devrait faire davantage pour aider ces familles. Cependant, bien qu’en 2014 il ait ratifié la loi de lutte contre la pauvreté infantile, il y a eu peu d’investissements ont été faits car la plupart des allocations ont été attribuées aux seniors, classe d’âge en pleine croissance.
Récemment, on a beaucoup parlé du phénomène kodomo shokudô (cantines pour enfants, voir pp. 11-12). Qu’en pensez-vous ?
H. H. : Ces endroits offrent des repas gratuitement ou pour une somme ridicule. Certains d’entre eux offrent même un espace où les enfants (dont les parents travaillent souvent toute la journée) peuvent étudier ou jouer après l’école. Bien sûr, c’est une bonne chose de voir les gens ordinaires et les associations faire quelque chose pour aider les enfants. Cependant, je ne pense pas que ce soit très efficace. Le problème principal est qu’ils ne sont ouverts qu’une fois par mois, une fois par semaine au plus. Dans de telles conditions, ils ne peuvent guère améliorer la situation des enfants, et encore moins remplir leurs estomacs vides. Si nous voulons vraiment résoudre sérieusement ce problème, nous devons faire plus.