Créée en 2012 par Kondô Hiroko, cette cantine solidaire a fait de nombreux émules dans le pays.
Dans l’arrondissement d’Ôta, situé non loin de l’aéroport de Haneda, Kondô Hiroko, 59 ans, attend les enfants, qui viennent normalement en groupe dans sa cantine vers 17h30, après la fermeture de l’école primaire. “C’est étrange qu’ils ne soient pas encore arrivés”, dit-elle. “Mais tu sais que c’est le premier jour des vacances d’été, ils sont peut-être déjà partis de Tôkyô”, rappelle une des trois bénévoles qui s’affairent dans la cuisine pour préparer le repas du jour. “Mais bon, d’habitude ils arrivent en masse à cette heure-là, tu penses vraiment qu’ils sont tous partis en vacances ?” rétorque Kondô, dubitative.
Dans ce petit magasin baptisé Kimagure Yaoya Dandan [Epicerie capricieuse Dandan] et géré par Kondô Hiroko, ils accueillent chaque jeudi soir essentiellement des enfants en bas d’âge et leurs mères à partir de 17h30. Le repas, préparé par les bénévoles qui sont, elles aussi, les mères vivant dans le coin, y est servi quasi gratuitement – 100 yens pour les petits et 500 pour les grands. “Avant, je travaillais chez un dentiste, et cette expérience m’a donné envie de faire quelque chose pour la santé des gens”, raconte la patronne de l’épicerie bio. Elle virevolte sans cesse dans ce petit espace d’environ 18 mètres carrés jonchés de cartons de légumes et d’ustensiles qu’elle vend aux clients. Le mur est décoré par une dizaine de tableaux pour enfants. “C’est un ami artiste qui me les a offerts”, sourit-elle, les yeux encerclés par des lunettes fines et un foulard sur la tête. Le mot “Dandan”, Kondô Hiroko l’a tiré du dialecte de sa région natale, Izumo, à l’ouest de l’archipel (voir pp. 26-29). “Cela veut dire “merci”, chez nous. Merci qui ? Bon je ne sais pas vraiment, l’idée m’est venue comme ça”, dit-elle.
En 2012, un professeur d’une école primaire du coin est venu discuter avec elle d’un garçon dont la mère souffrait d’un trouble mental et qui n’était donc pas en mesure de le nourrir correctement. “Il m’a dit que l’enfant ne mangeait que des bananes chez lui”, se rappelle-t-elle. C’est ainsi qu’elle a eu l’idée de servir des repas équilibrés à un prix abordable pour tout le monde dans son épicerie. Son idée a vu le jour la même année, “mais c’était trop tard pour le garçon, qui avait été déjà pris en charge par le foyer de l’enfance”, regrette-t-elle. Le concept, elle le nommera kodomo shokudô, voulant dire littéralement “cantine pour enfants”. “Je voulais venir en aide aussi aux parents en difficulté, car il est très difficile d’élever des enfants, explique Kondô Hiroko, elle aussi mère de trois enfants. Mais la société ne leur permet pas vraiment de se manifester pour demander de l’aide. C’est pour cela que j’ai ouvert cette cantine.”
A ce jour, un enfant sur sept vit sous le seuil de pauvreté au Japon et ce type de cantine solidaire, dont l’idée a été inventée par Kondô Hiroko, se multiplie à un rythme soutenu à l’échelle nationale. Il est pourtant difficile d’en connaître le nombre exact, car il ne s’agit pas d’une initiative lancée par l’Etat. Toutefois, le quotidien Asahi Shimbun en a recensé 319 en 2016. “Je ne m’attendais pas du tout à ce que cela allait devenir une tendance nationale”, avoue-t-elle. Elle accueille entre 40 et 50 enfants et adultes chaque jeudi avec une équipe bénévole de huit personnes.