Ce qui distingue le folklore japonais est la présence d’un assez grand groupe de démons et d’esprits bizarres appelés yôkai, lesquels se situent à la frontière entre l’horreur et le comique. Pas vraiment humaines, mais capable d’un large éventail d’émotions humaines, la plupart du temps, ces créatures ne sont ni bonnes ni mauvaises. Toutefois, elles font souvent preuve de malice. Elles aiment jouer des tours à leurs victimes. Leurs pouvoirs de transformation les rendent particulièrement difficiles à reconnaître. Probablement les plus faciles à saisir sont le kappa (de la taille d’un enfant, il a des mains et des pieds palmés, une bouche en forme de bec et une cavité au-dessus du crâne remplie d’eau), le tengu (personnage qui se distingue par un nez anormalement long), le bake-kitsune (renard) et le bake-tanuki (raton laveur).
Les yôkai les plus célèbres de Tôkyô sont probablement les Nopperabo (les “sans visage”), dont Lafcadio Hearn a parlé dans son histoire Mujina, et le pied géant de l’Ashiarai Yashiki. Les Nopperabo sont des humains normaux, mais avec des visages horriblement lisses et sans traits. Il y a un siècle et demi, on les voyait souvent sur le versant Kinokuni d’Akasaka, autrefois considéré comme l’un des endroits les plus effrayants de la ville. L’Ashiarai Yashiki, pour sa part, est lié à l’apparition d’un pied géant, couvert de boue. Celui-ci sort du plafond sans avertissement au milieu de la nuit, exigeant d’être lavé. La légende raconte que la première apparition de ce genre a eu lieu dans un manoir du district de Honjo, à Edo, qui correspond aujourd’hui à l’arrondissement de la Sumida dans l’actuel Tôkyô.
Une autre catégorie d’êtres surnaturels qui est souvent mélangée aux yôkai comprend les obake ou bakemono, un terme souvent traduit par “fantôme” même s’ils sont parfois distincts des esprits des morts. Suivant les traditions shintoïstes et animistes, ils peuvent appartenir au monde animal ou végétal, comme le bakeneko [le chat qui se transforme] et le kodama [la plante qui hante], tandis que les tsukumogami sont des objets domestiques.
Tous ces esprits et ces monstres ont souvent influencé le monde de la culture populaire et du divertissement, un exemple célèbre étant l’obake karuta, un jeu de cartes populaire entre la période Edo et les années 1920 qui peut être considéré comme le précurseur des cartes Pokemon et dont les personnages sont directement inspirés par les créatures de la mythologie japonaise. Plus récemment, le regretté mangaka Mizuki Shigeru a imaginé, en 1959, la série Kitaro le repoussant (GeGeGe no Kitarô, éd. Cornélius) dans laquelle non seulement les protagonistes principaux sont un borgne de 350 ans et son père fantôme, Medama Oyaji, mais où tous les autres personnages sont des yôkai. Bien que très populaire au Japon, cette série n’a jamais connu un grand succès en dehors de l’archipel, apparemment parce que l’histoire était trop bizarre même pour les amateurs de manga les plus enragés vivant loin du Japon.
Jean Derome