Durant son séjour, elle a réalisé deux expériences professionnelles différentes. “La première s’est très bien passée. La seconde, beaucoup moins. Je me sentais rejetée par mes collègues. On me parlait mal. Quand j’en ai discuté avec ma responsable, elle m’a dit qu’il ne fallait pas leur en vouloir, car ils ne savent pas comment parler à une étrangère. C’était blessant.” Si elle a apprécié le confort de la vie tokyoïte, elle regrette ce sentiment qui la pousse à croire que “la politesse japonaise est davantage un devoir collectif qu’un réel sentiment humain.”
Comme Julie, Idriss Ariyoshi-Moulay est arrivé récemment sur le sol japonais. Né d’un père marocain et d’une mère japonaise, le jeune homme de 32 ans s’est installé à Tôkyô en août 2016 avec sa compagne marocaine. “Je me suis dit, j’ai vécu les 30 premières années de ma vie dans le pays de mon père, j’ai envie de vivre les 30 suivantes dans celui de ma mère.” Une décision qu’il ne regrette pas. “J’ai trouvé du travail rapidement. Je me plais beaucoup à Tôkyô. Je pense que je peux rester longtemps ici.” Il n’a jamais eu le type d’expériences vécues par Julie. “J’ai déjà entendu parler de ce type d’histoires, mais je ne l’ai pas connu personnellement. J’ai fait ma scolarité au Maroc… Et là-bas, on m’appelait le singe jaune !”
Partager ses expériences avec d’autres, c’est dans certains cas, l’occasion de briser une solitude qui pèse. Mais “cela reste difficile de réunir les hâfu au Japon, confie Edward. La plupart d’entre eux ne veulent surtout pas être différenciés des Japonais et veulent se fondre dans la masse.”
Début septembre, une cinquantaine de métissés japonais et leurs proches ont répondu à l’invitation de l’ONG, The Global Families qui milite pour la diversité des familles. Au programme : la projection d’un documentaire réalisé sur les hâfu, dans lequel témoigne Edward, suivi d’un panel de discussions. “Nous essayons de créer une dynamique afin de permettre aux gens de se rencontrer, de se rendre compte qu’ils traversent parfois les mêmes difficultés de chocs culturels, c’est très important, explique Awano Mizuki, organisatrice et elle-même mère de deux enfants métissés japonais et français.
Tout au long de la journée, les témoignages se sont enchaînés. Souvent avec beaucoup d’émotions. Dans le film, un couple nippo-mexicain confie la scolarité difficile de leur fils, Alexis. Le jeune garçon d’une dizaine d’années a sombré dans l’échec scolaire après avoir subi les sarcasmes de ses camarades de classe. “Ils m’insultaient tout le temps, me traitaient d’étranger, se moquaient de moi, refusaient que l’on soit amis”, explique-t-il. Des situations appréhendées maladroitement par le personnel enseignant. “Son institutrice m’a convoqué pour me dire qu’il était lent, ajoute la mère d’Alexis. J’ai alors compris que le problème venait aussi du système scolaire japonais, où personne n’a été capable de soutenir et d’aider mon enfant à s’intégrer comme n’importe quel autre élève.”
Métissé japonais et coréen, Lee Seiichi raconte de quelle façon sa mère lui a caché sa double-nationalité jusqu’à ses 15 ans. “Elle avait peur que je ne sois pas considéré comme un enfant normal à l’école, explique le jeune homme qui vit à Ôsaka. Elle avait peur que je sois rejeté à cause de mon métissage par une Japonaise dont je serais tombé amoureux.”