Chaque année, le 1er décembre au Japon, un éditeur annonce le mot de l’année. Depuis son lancement en 1984, l’événement a pris une dimension nationale. Le prix est attribué aux expressions qui reflètent la tendance sociale de l’année avec une certaine légèreté. Par exemple, en 2017, le terme feiku nyûsu (fake news) fait partie des 30 finalistes sélectionnés par l’éditeur et son jury.
Personnellement, je voterais pour sontaku, un terme désuet, qui veut dire deviner l’intention ou les sentiments d’une personne et agir sans qu’on vous le demande. Je l’ai appris en mars dernier en suivant les informations autour de l’affaire Moritomo gakuen. Il s’agit d’un scandale politique mettant en cause le Premier Ministre Abe Shinzô soupçonné de favoritisme dans le cadre d’un projet de construction d’une école privée. Le mot a été prononcé par le président de l’école pendant une conférence de presse. Il a affirmé qu’il y avait eu lieu un sontaku : des fonctionnaires bien attentionnés ont privilégié son école en devinant la volonté du chef du gouvernement. Ce n’est pas étonnant que l’interprète présent au club de la presse étrangère n’ait pas trouvé le terme équivalent en anglais, puisque c’est une pratique typique au Japon où traditionnellement la sobriété de parole et le respect à l’égard des autres sont des vertus (qui permettent aussi de rejeter la responsabilité sur les autres !).
Il m’arrive de faire l’intermédiaire entre des Japonais qui évitent de dire des choses clairement et des Français qui ne comprennent pas ce rituel. Cela me met souvent dans des situations qui me donnent envie de pleurer ou de les coller contre un mur. Imaginez lorsqu’une décision doit passer par plusieurs intermédiaires nippons, cela ressemble au jeu du téléphone arabe que l’on peut voir dans les cours d’école ! Etant toujours au bout de la chaîne, je dois me débrouiller avec la dernière phrase et me retrouve coincée. Vivement que le terme sontaku soit récompensé, car il mettra enfin en évidence les abus qui lui sont liés. Koga Ritsuko