Kumazawa Fusahiro s’arrête un moment pour rire un bon coup de ce voyage cauchemardesque. Accompagnateur pas encore aguerri, il découvre pour la première fois les caprices de touristes dans des conditions pour le moins difficiles. “En plein milieu du désert, certains réclamaient du fromage au petit déjeuner ou de la confiture ! Finalement, j’ai dû montrer les justificatifs des dépenses pour la nourriture, car ils pensaient que je cachais des vivres ! Avec tout ça, les autres participants qui étaient satisfaits du voyage ont commencé à s’énerver aussi. Les Japonais sont calmes mais quand ils sont clients c’est autre chose”, rappelle-t-il. Finalement, le groupe s’est scindé à Bangui en République centrafricaine. De retour au Japon, Kumazawa Fusahiro a essayé de lancer un lodge Safari acheté au Kenya, mais l’affaire n’a pas marché. “Il me fallait une vitrine, donc en 1979, j’ai décidé de fonder l’agence de voyage Dososhin, qui veut dire littéralement “esprit protecteur des voyageurs”. C’était la première agence japonaise spécialisée uniquement sur l’Afrique.” Au début, Kumazawa Fusahiro proposait des circuits sur les destinations les plus prisées comme le Kenya et le Maroc. Puis petit à petit, il a orienté son agence vers l’Afrique de l’Ouest. “J’ai créé des circuits plus culturels avec une approche des différentes tribus, ce qui changeait beaucoup des safaris”. Le tourisme à l’étranger est un secteur en plein boom dans le Japon des années 1980 et 1990, une conjoncture qui aide la jeune agence à promouvoir des circuits inédits. “Le Paris-Dakar auquel participaient des pilotes japonais était un nouveau défi et avait un grand succès. J’en ai profité pour organiser des expéditions dans le désert du Téneré au Niger puis dans le Sahara algérien”
Témoin de ses premiers pas en Afrique, le Sahara est toujours resté pour Kumazawa Fusahiro une destination fétiche. Cependant, la conjoncture sécuritaire en Afrique est devenue de plus en plus problématique. “Au début les clients se souciaient seulement des toilettes et de l’hygiène mais avec le terrorisme, c’est devenu autre chose.” En 2009, il quitte Dososhin et passe les rênes à un directeur plus jeune. “En réalité, je m’ennuyais. Trop de paperasses, pas assez d’esprit d’aventure dans l’équipe. Quant à la clientèle, elle était de plus en plus âgée. A croire que seuls les retraités osent encore partir en Afrique !” Nostalgique d’une époque où tout était possible, Kumazawa Fusahiro a recréé une entreprise touristique avec des activités complémentaires au restaurant Calabash. “J’aimerais organiser des circuits culinaires en Afrique avec des repas pris chez l’habitant qui permettent aux Japonais de s’immerger dans la culture et apprécier l’hospitalité merveilleuse des gens. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de ce continent”, assure-t-il. En attendant, il organise des manifestations culturelles avec la diaspora africaine au Japon. Dans la salle, les regards sont rivés vers un groupe qui a commencé à jouer de la rumba congolaise. La moitié des musiciens sont de Kinshasa, l’autre japonais. Les clients tapent des mains, une tablée entière d’employés de bureaux se met à danser, entraînée par une délégation africaine venue séjourner à Tôkyô pour un congrès. Kumazawa Fusahiro esquisse un sourire. Le Calabash reste le seul endroit dans la capitale où on se sent vraiment… en Afrique.
A. D.-T.