De ce rituel original destiné à faire revenir le soleil, le Kagura est devenu un moyen pour divertir les dieux et les remercier pour la récolte de riz. Voilà pourquoi il est traditionnellement joué dans les sanctuaires shintoïstes, l’endroit où les divinités habitent. Actuellement, le Kagura est populaire dans de nombreuses régions du Japon. Mais l’un de ses bastions est la préfecture de Hiroshima où il s’est imposé, à l’époque d’Edo (1603-1867), en provenance d’Izumo et Iwami dans la préfecture voisine de Shimane. À la fin de cette période, on recensait plus de 100 troupes de Kagura dans la région de Hiroshima.
“De nombreuses pièces du Kagura sont basées sur le Kojiki (Chronique des faits anciens) et le Nihon Shoki (Chroniques du Japon), les deux ouvrages historiques du Japon compilés vers 720”, explique Shimose Akiho de l’office du tourisme de la ville d’Akitakata. Les autres histoires s’appuient sur les rituels agricoles, les mythes, les légendes et les récits historiques de la période Heian (794-1185). “Récemment, nous avons aussi des pièces de Kagura inspirées par le théâtre kabuki ou le théâtre nô”, ajoute Shimose Akiho.
Cependant, à la différence de ces deux formes théâtrales qui se caractérisent par un rythme lent et mesuré, le Kagura est un art à vous couper le souffle, avec des monstres effrayants, des dragons, de la magie et des combats d’épée. Sans surprise, il s’est imposé comme un divertissement populaire non seulement pour les kami, mais aussi pour les simples mortels. Au fur et à mesure que sa popularité augmentait, on y a ajouté de nouveaux ingrédients, le rendant encore plus attrayant pour le public, comme la synchronisation envoûtante entre les danseurs et la musique, qui n’était pas une caractéristique du Kagura traditionnel. Les costumes ostentatoires d’aujourd’hui étaient à l’origine beaucoup plus ordinaires. Ils étaient conçus avec des tissus teints et ornés de simples motifs floraux. Désormais, les costumes du Kagura sont richement décorés avec de magnifiques tigres, dragons et démons, brodés de fils d’or et d’argent. Ils peuvent peser jusqu’à 20 kilos et coûter plus d’un million de yens. Des masques de monstres redoutables et des dragons cracheurs de feu, jusqu’à 17 mètres de long, contribuent également à la flamboyance du Kagura. Même si vous ne saisissez pas toute l’histoire, vous serez toujours enchanté par la magnificence des costumes.
Dans la préfecture de Hiroshima, le Kagura évoque autant l’automne que la couleur changeante des érables. Les performances dans les sanctuaires de la région constituent le point culminant des festivals liés à la moisson du riz en cette saison. Mais compte tenu de la popularité grandissante du Kagura, on peut également profiter de ces représentations tout au long de l’année dans des salles de spectacles et des centres culturels.
Actuellement, la préfecture abrite 200 troupes de Kagura, avec cinq variations selon leur implantation: de Geihoku, dans les montagnes du nord, aux îles Geiyo en Mer Intérieure. La ville d’Akitakata, au nord de Hiroshima, recense 22 troupes et possède même un lieu réservé aux spectacles de Kagura, le Kagura Monzen Toji Mura, avec un musée consacré à cette forme théâtrale et des représentations hebdomadaires en intérieur et en extérieur.
Plus de 20 concours de Kagura sont organisés chaque année dans toute la préfecture. Ils ont joué un rôle crucial dans la promotion et la préservation de cette tradition, ainsi que dans sa sophistication. C’est une responsabilité que les danseurs et les musiciens – tous amateurs – prennent très au sérieux. “La plupart des danseurs commencent le Kagura à l’école primaire et ont des dizaines d’années d’expérience”, confirme Shimose Akiho. Preuve que le Kagura fait vraiment partie du riche patrimoine des arts du spectacle japonais, sa présence lors de la Fashion Week de Paris en septembre dernier, lors d’une représentation éblouissante de la troupe Hiroshima Kagura pendant le défilé de la collection Kenzo printemps 2018.
Dans un décor plus humble, de retour au sanctuaire Waseda-jinja, quatre musiciens en tenue shintoïste (chapeaux noirs, chemises blanches et pantalons noirs et épais) montent sur scène. Ils s’agenouillent en ligne droite, prennent leurs instruments (un gros tambour, un petit tambour, des cymbales à doigts et une flûte) et se lancent dans un riff mélodieux.