Bien qu’à l’époque la plupart des Américains et des Européens ne connaissaient pas le nom de Tezuka, son personnage Astro était célèbre. “Il est bien possible que l’Américain moyen qui avait vu Astro le petit robot ne savait même pas qu’il venait du Japon. Mais Tezuka avait un talent formidable pour s’entendre avec n’importe qui qu’ils s’agissent d’intellectuels ou d’enfants. Et même s’il ne parlait pas très bien l’anglais, il pouvait toujours dessiner. Il faisait le portrait de quelqu’un ou dessinait l’un de ses personnages. Le dessin était une sorte d’espéranto pour lui.”
En parlant d’Astro le petit robot, de nombreux fans étrangers, en particulier les plus anciens, connaissaient ce personnage à travers sa version animée. Cependant, selon Frederik L. Scholdt, c’est dans les mangas que l’on peut vraiment apprécier l’éventail des intérêts de Tezuka et son génie de la narration. “Pour arriver à la version animée, beaucoup de ses histoires ont été délayées”, estime-t-il. “Les premières histoires originales qui remontent à 1951-52 étaient en réalité très provocatrices. Si vous les lisez, vous constaterez que certaines d’entre elles avaient un côté vraiment choquant. Ce n’est que plus tard qu’une bonne partie du contenu a été filtrée par Tezuka lui-même quand il a dû préparer ses histoires pour la série télévisée diffusée au Japon à partir de 1963. Ces mêmes histoires ont été encore plus diluées pour les marchés étrangers. Alors, quand j’ai lu les originaux, j’ai été étonné par la façon dont l’auteur a pu aborder des sujets aussi compliqués. Parce que le manga n’avait pas encore dans les années 1950 la portée qu’il aura plus tard, il pouvait faire à peu près tout ce qu’il voulait. Il a eu cette approche très adulte dans l’exploration des questions existentielles, philosophiques, religieuses et politiques, même si ses histoires étaient lues par des pré-adolescents. Il a abordé des questions comme l’intelligence artificielle, les robots et beaucoup d’autres thèmes dont nous débattons encore aujourd’hui.”
Frederik L. Scholdt se souvient de Tezuka comme une personne qui voulait toujours être le premier. “Il avait ce désir inné de toujours devancer les autres artistes”, raconte-t-il. “Toutefois, face à l’émergence du mouvement gekiga (manga réaliste surtout destiné aux adultes), il y a eu un moment où il a commencé à perdre du terrain. Il a donc fait un effort conscient pour montrer qu’il pouvait pleinement rivaliser avec ces artistes plus jeunes qui traitaient de thèmes plus adultes. Cela n’a pas empêché beaucoup de gens au Japon de critiquer ses œuvres qui avaient toujours l’air d’être faites pour les plus jeunes. En effet, il n’était jamais complètement en mesure de s’adapter à ce style même lorsqu’il créait des histoires avec des thèmes très adultes. Il était lui-même conscient du fait qu’il n’avait aucune formation artistique formelle.”
Bien que l’activité liée au manga de Scholdt se soit réduite, son lien avec Tezuka semble toujours aussi fort. Il s’en est rendu compte en traduisant la biographie illustrée de l’artiste. Les gens lui demandent souvent pourquoi il n’écrit pas lui-même une biographie de Tezuka. “Il fut si prolifique que d’essayer de représenter sa vie dans un seul livre est une tâche presque impossible”, assure-t-il. “Ban Toshio, l’auteur du livre que je viens de traduire, a fait un travail fabuleux. Il a travaillé comme “sous-chef assistant” de Tezuka, comme on dit au Japon. Il était responsable du quart de nuit. En conséquence, non seulement il le connaissait bien, mais il pouvait même s’inspirer de son style pour réaliser sa biographie. De plus, il a eu accès à toutes les archives de Tezuka Productions et aux souvenirs des employés et des personnes qui le connaissaient.”
Osamu Tezuka est un manga informatif et biographique qui décrit le travail du mangaka et sa personnalité. “Aujourd’hui, beaucoup de gens s’intéressent au Cool Japan. Si vous retracez les racines du manga et de l’anime, vous finissez toujours par revenir à Tezuka”, explique Frederik L. Scholdt. “Bien sûr, il n’est pas le seul responsable du succès international de la bande dessinée et de l’animation japonaises, mais il est vraiment le personnage qui a créé le cadre pour leur développement et leur succès.”
Jean Derome