Thibaud Desbief et Patrick Honnoré ne s’étaient jamais parlé. Pour la première fois, ils évoquent leur vision du métier.
Patrick Honnoré : On dira ce qu’on voudra, le shônen est le genre-roi du manga. Il fait s’allumer des euros dans les yeux des éditeurs et les traducteurs de shônen sont ceux à qui les éditeurs confient leur poule aux œufs d’or. Du point de vue de la traduction, c’est le genre où les défis sont les plus difficiles. Rien que la nécessité d’inventer les noms de personnages et d’attaques… Aussi les traducteurs de shônen ont-ils toujours été à mes yeux des sortes de héros. Parmi eux, Thibaud Desbief, tu fais figure de super-saiyan. Tu as fait partie de la première génération des traducteurs, celle de Monster (Kana), de Hunter x Hunter (Kana), même avant ça, tu étais dans les premiers binômes de traducteurs, à l’époque préhistorique où les éditeurs croyaient qu’il suffisait de demander à un étudiant japonais à Paris, parce que la traduction de manga était censée être codée dans leur génome. Puis, tu as été de la deuxième génération, celle de Pluto (Kana), de Master Keaton (Kana), quand les parents ont commencé à lire des mangas par-dessus l’épaule de leurs enfants et que les traductions ont revendiqué une recherche de qualité et de clarté. Et aujourd’hui arrive la 3e génération des traducteurs, qui sont tombés dans le manga quand ils étaient petits, et tu es toujours là, que dis-je, plus en pointe que jamais, avec Kazé qui te confie la traduction en simultrad (voir p.14) de Platinum End de Ôba Tsugumi et Obata Takeshi, les auteurs de Death Note. Moi, chaque fois que j’ai demandé à un éditeur de me donner une série shônen (pour adolescent) à traduire, il a botté en touche ou m’a donné une série tellement atypique que c’était déjà presque du seinen (pour jeune adulte). Comment fais-tu ?
Thibaud Desbief : C’est assez amusant que tu le voies comme ça, parce que, personnellement, j’étais persuadé que la traduction de manga à tendance non-intellectuelle, autrement dit le shônen, ne t’intéressait pas du tout. Quant à mon cas personnel, si j’ai traversé le temps et les générations de traducteurs, c’est probablement parce que je n’ai jamais quitté le stade shônen dans mon évolution. C’est handicapant dans les dîners mondains, mais j’ai appris à positiver : c’est un atout indéniable dans les relations avec les enfants !