La traduction de manga en français a fait de grands progrès depuis l’avènement de l’engouement pour le manga dans les années 1990-2000. Et pourtant, dès qu’un manga peine à trouver son public, tout le monde pense en première instance à un problème de traduction : “Je n’ai pas aimé ce manga, c’est certainement la faute de la traduction…” Pourtant il y a bien dix autres explications possibles si vous n’aimez pas un titre.
Alors s’il faut valoriser la traduction de manga, c’est d’abord pour renforcer le maillon faible. Valoriser le travail des traducteurs, c’est aussi garantir au lecteur une expérience de lecture de qualité. Le problème, quand une traduction est faite dans de mauvaises conditions, c’est qu’elle fait descendre dans le bas de gamme un titre qui avait quelque chose à dire. Une traduction manquée fait rater des choses au lecteur. En d’autres termes, si le traducteur n’a pas fait passer ce qu’il y avait d’original, d’unique dans une série, ça ne va pas apparaître tout seul par magie dans la traduction, et donc finalement les lecteurs penseront que cette série n’avait rien à dire. Alors que si le traducteur est allé chercher ce que chaque titre apporte au monde, alors il se trouvera au moins un lecteur qui pourra dire que ce manga a changé sa vie (au moins pendant une heure). Un lecteur, ce n’est peut-être pas beaucoup. Oui, mais trouver le deuxième lecteur, et le suivant, et le suivant, c’est le travail du marketing, pas du traducteur !
Aujourd’hui, les erreurs de traduction ne sont plus que résiduelles, mais reste à rendre dans toute leur finesse le style, l’expérience de lecture, la dialectique image-texte… Mettre en valeur le travail des traducteurs de mangas, telle est l’ambition du prix Konishi de la traduction de manga en français, une récompense biennale, dont le ou la lauréat(e) sera annoncé(e) officiellement au festival d’Angoulême 2018.
Pour la première édition, une sélection très équilibrée de dix titres publiés en français entre octobre 2015 et septembre 2017 a été établie par un panel de quinze journalistes, libraires et acteurs de la scène manga francophone avant que le Grand Jury composé de Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival International de la Bande Dessinée et libraire, Stéphane Ferrand, éditeur, Patrick Honnoré, traducteur, Claude Leblanc, journaliste et Karyn Nishimura Poupée, journaliste, désigne le ou la lauréat(e) parmi cette sélection.
Trois des cinq jurés lisent le japonais et ont lu l’intégralité des titres en v.o. et v.f. Mais les traducteurs traduisent avant tout pour les lecteurs qui ne lisent pas le japonais et il était également important que le prix Konishi ne devienne pas un prix de “techniciens”. C’est donc tout à fait à propos que le jury inclut aussi des non-japonophones, afin d’assurer une pertinence incontestable, aussi bien vis-à-vis des critiques, des universitaires, des éditeurs, des traducteurs eux-mêmes, et bien sûr, des lecteurs. P. H.